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la pièce de cet incident qui ne sert à rien ?... Il reste qu’Arnaud a quitté son poste et qu’il va être porté déserteur. Ici une fort belle scène, — que le jeu de M. Lérand a mise en tout son relief, — entre le commandant de Linières et le lieutenant Cadière, le premier représentant le devoir inflexible, le second plaidant la cause de l’indulgence. Le rigide Linières consent à manquer, pour la première fois de sa vie, à la consigne et laisse quarante-huit heures à Cadière pour retrouver Arnaud. Nous ne doutons pas qu’Arnaud ne soit là, tout près, caché dans la chambre d’Hassouna. Cadière ouvre la chambre : il en sort... le marchand de tapis.

Enfin, au troisième acte, Arnaud est retrouvé. Il aide Hassouna à opérer son déménagement... lorsque surgit Cadière. Les deux hommes vont avoir l’explication violente qui était inévitable. Mais ici une surprise. Qui donc avons-nous devant nous et de quoi parlent-ils ? Nous croyions que la haine d’Arnaud pour Cadière était une rivalité d’amour : nous sommes loin de compte. Arnaud accuse Cadière d’avoir été l’amant de sa mère. Cela est pour le moins imprévu, et la réponse de Cadière est plus inattendue encore et plus déconcertante. C’est le père d’Arnaud qui a été l’amant de la mère de Cadière ! Voilà la vérité. Qu’est-ce qu’elle nous fait, cette vérité ? A quoi sert ce déballage de vilenies ? Et quel moment pour laver ce linge sale en famille ! Il s’agit de rappeler Arnaud à lui, de l’arracher à l’influence funeste d’Hassouna ; il ne s’agit que de cela et ce n’est pas tellement facile ! L’heure est venue des paroles décisives. Cadière dit de fort belles choses, qui probablement seraient restées sans effet, si par bonheur un bateau de l’escadre n’avait pris feu. Que voilà un heureux cataclysme ! Cet incendie opportun et même providentiel éclaire le droit chemin et le montre à Arnaud qui s’y précipite. Quant à la petite Hassouna, ses cris, ses roulemens d’yeux, ses ruses, ses menaces, ses stratagèmes, sa gesticulation furieuse et ses furieuses déclamations auront été en pure perte. Elle annonce, trois actes durant, une vengeance qui n’arrive jamais. Beaucoup de bruit pour rien.

L’impression que nous emportons de cette pièce est des plus confuses. A qui va la sympathie de l’auteur ? Est-ce à Hassouna ? On peut le croire, car cette malheureuse à qui on a tué tous ses parens, qui n’a, en somme, ni trahi Cadière, ni débauché Arnaud, et qui va s’en retourner dans sa tribu où elle ne trouvera plus aucun des siens pour l’accueillir, est incontestablement une victime. Est-ce aux marins français ? Je le crois, et M. Kistemaeckers, qui est volontiers cornélien, me semble avoir eu l’intention de faire une pièce à l’honneur de notre