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brusque fantaisie ? Pourquoi ce revirement qu’hier encore rien ne faisait pressentir ? Thyra ne donne ni une raison, ni un prétexte. Elle renvoie le prince désespéré. Restée seule, elle se fait apporter un costume de Salomé, car elle se promet d’aller le soir au bal des Quat’z’Arts, en compagnie d’un certain Lignières, chanteur mondain. Elle se regarde dans son miroir, et, devant l’image que la glace lui renvoie, elle éclate en sanglots... Que s’est-il donc passé dans la vie de Thyra de Marliew ? Où est-elle allée ce matin, et qu’a-t-elle appris ? Quelle cause l’a jetée dans l’état violent où nous la voyons ? Il y a là une énigme dont nous souhaitons de savoir le mot, car toute souffrance dont nous sommes les témoins attire notre sympathie. Cela est d’excellent théâtre.

Nous allons être abondamment renseignés. Au second acte, quand la toile se lève, c’est la nuit : Mme de Marliew attend sa fille. Mme de Marliew est une mère qui a souvent à attendre sa fille. Thyra sort beaucoup, de jour et de nuit, et toujours déguisée. Où va-t-elle sous ces déguisemens variés ? Mme de Marliew ne le saura que trop. On sonne. « Thyra, est-ce toi ? » Ce n’est pas Thyra, c’est le prince, apportant des nouvelles de Thyra. Hélas ! quelles nouvelles ! Et quel récit pour les oreilles d’une mère ! Intrigué, comme nous l’avons été nous-mêmes, par les allures de la jeune fille, Philippe l’a suivie. Il l’a vue entrer dans la salle du bal, au bras de Lignières ; il l’a vue, de ses yeux, se livrer à des ébats chorégraphiques, auprès desquels le tango n’est bien décidément que le plus académique des divertissemens ; il l’a vue, de ses yeux vue, ce qui s’appelle vue, s’attabler en face d’un « éphèbe » et, — toujours flanquée de l’indulgent Lignières, — allumer cet « éphèbe, » puis sortir avec lui, pour une destination nullement mystérieuse. Il ne l’a pas suivie plus loin... A cet horrible récit, où la précision et le luxe des détails rendent toute espèce de doute impossible, Mme de Marliew répond que sa fille a eu jadis une pleurésie Nous ne saisissons pas bien le rapport... Enfin voici Thyra. Elle convient qu’elle doit au prince sa confession. Elle va lui dire toute la vérité. Depuis quelque temps, elle se sentait mal portante ; elle se méfiait de l’optimisme professionnel et des euphémismes auxquels les médecins ont coutume de recourir pour ne pas frapper le moral de leurs malades. Elle a voulu savoir : vêtue en femme du peuple, elle est allée à la clinique d’un hôpital. Ah ! elle a été complètement édifiée : « troisième degré, cinq ans à traîner, pas de remède... « 

On a trouvé, en général, que ce médecin manque d’humanité, à un degré par trop invraisemblable. La Faculté conseille de déclarer la