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jour, selon la prophétie du fils de Dieu. » L’institution militaire, on le pense bien, n’est pas épargnée, et le temps n’est plus où on la couvrait de fleurs, où l’on criait : « Vive l’armée ! » où l’on faisait l’apologie de la guerre : « J’ai fait tous les métiers, hors celui de soldat, qui m’a toujours inspiré du dégoût et de l’effroi, par les caractères de servitude, de fausse gloire et de cruauté qui y sont attachés… Et je ne vous cache pas, mon fils, que le service militaire me paraît la plus effroyable peste des nations policées… L’état militaire a cela aussi d’approprié à la nature humaine, qu’on n’y pense jamais… Il faut que les hommes soient légers et vains, mon fils, pour donner aux actions d’un soldat plus de gloire qu’aux travaux d’un laboureur et pour mettre les ruines de la guerre à plus haut prix que les arts de la paix. » Et comme vous n’êtes pas sans avoir observé que les plus déterminés pacifistes prennent beaucoup plus gaillardement leur parti de la guerre civile que de la guerre étrangère, voici qui complète le portrait et achève la doctrine : « La guerre civile est assez odieuse, mais non point très inepte, car les citoyens, lorsqu’ils en viennent aux mains entre eux, ont plus de chances de savoir pourquoi ils se battent que dans le cas où ils vont en guerre contre des peuples étrangers. Les séditions et querelles intestines naissent généralement de l’extrême misère des peuples. Elles sont l’effet du désespoir, et la seule issue qui reste aux misérables, qui y peuvent trouver une vie meilleure et parfois même une part de souveraineté. » Donc, elles sont « excusables. » Et nous ne sommes pourtant qu’en 1893 !

Le Jardin d’Épicure n’est pas tout à fait ce que l’on aurait pu craindre, et ce que le titre semblait promettre. Il me semble bien que l’idée du livre a dû être suggérée par cette pensée de Sainte-Beuve :


Sénèque nous le dit : à la porte des jardins d’Epicure, on lisait cette inscription engageante : « Passant, tu feras bien de rester ici ; ici on met le souverain bonheur dans la volupté. » Et l’on entrait ; on était reçu par le maître du lieu avec hospitalité, et il vous servait un mets de farine frugale ; il vous versait de l’eau claire avec abondance, et il vous disait : « N’êtes-vous pas content ?,.. » De même j’ai fait dans ce roman de Volupté. Ceux qui y venaient dans une mauvaise espérance, et comptant y trouver une nourriture à leurs vices, n’y ont trouvé qu’une leçon. Et pourtant le livre bien considéré ne ment pas à son titre[1].

  1. Table des Causeries du lundi, p. 43.