Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 18.djvu/414

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dans ses chroniques où il aborde les sujets les plus divers, passant d’un Dialogue entre « la dame qui porte un roman de Bourget dans son manchon » et l’auteur sur le roman psychologique, à un Essai d’une chronique « spirituelle, » ou à M. Drumont et la question juive, il en vient, un jour, à parler de la Revue du 14 juillet, et il nous avoue qu’il a été « amusé, enchanté, touché, ravi. » « Aussi, s’écrie-t-il, c’est quelque chose d’admirable qu’une armée ! Songez donc ! Tant de cœurs réunis dans une seule pensée ! Une telle force et si bien contenue ! Un si bel ordre ! Un organisme si admirablement combiné pour produire du courage avec de l’obéissance. Quoi de plus beau ? » Et il ajoute ces paroles remarquables et profondes :


Les vertus militaires ! elles ont enfanté la civilisation tout entière. Industrie, arts, police, tout sort d’elles. Un jour, des guerriers armés de lances de silex se retranchèrent avec leurs femmes et leurs troupeaux derrière une enceinte de pierres brutes. Ce fut la première cité. Ces guerriers bienfaisans fondèrent ainsi la patrie et l’État ; ils assurèrent la sécurité publique ; ils suscitèrent les arts et les industries de la paix, qu’il était impossible d’exercer avant eux. Ils firent naître peu à peu tous les grands sentimens sur lesquels l’État repose encore aujourd’hui ; car, avec la cité, ils fondèrent l’esprit d’ordre, de dévouement et de sacrifice, l’obéissance aux lois et la fraternité des citoyens. Voilà ce qu’a fait l’armée quand elle n’était composée que d’une poignée de sauvages demi-nus. Depuis, elle a été l’agent le plus puissant de la civilisation et du progrès. L’épée a toujours donné l’empire aux meilleurs... On se plaint que l’armée, c’est la force, et rien que la force. Mais on ne songe pas que cette force a remplacé l’anarchie, et qu’enfin partout où il n’y a pas d’armée régulière, les massacres sont domestiques et quotidiens. Le soldat est nécessaire, et la guerre est, de toutes les fatalités sociales, la plus constante et la plus impérieuse.

J’oserai dire que la guerre est humaine, en ce sens qu’elle est le propre de l’humanité. Elle représente la seule conciliation que l’homme ait jusqu’ici trouvée entre ses instincts brutaux et son idéal de justice. Elle règle la violence et constitue ainsi le plus grand résultat que notre espèce ait encore obtenu pour l’adoucissement des mœurs. Fera-t-on mieux plus tard ? Supprimera-t-on la violence, qu’on a seulement réglée ? Cessera-t-on de faire la guerre, et le soldat disparaîtra-t-il un jour ? Il est chimérique d’espérer ce résultat et dangereux d’y travailler.

L’homme est soumis aux fatalités de son origine. Sa nature est d’être violent. Quand il sera pacifique, il ne sera plus l’homme, mais quelque chose d’inconnu dont nous n’avons même pas le pressentiment. Le dirai-je ? Plus j’y songe, et moins j’ose souhaiter la fin de la guerre. J’aurais peur qu’en disparaissant, cette grande et terrible puissance n’emportât avec elle les vertus qu’elle a fait naître et sur lesquelles tout notre édifice social repose encore aujourd’hui. Supprimez les vertus militaires, et toute la société civile s’écroule.