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réserves ne sont jamais bien loin, et d’ailleurs il accueillera aussi, et même plus facilement, des doctrines toutes contraires. Son choix n’est pas encore fait, ou, s’il est fait intérieurement, l’écrivain n’éprouve pas le besoin de le faire publiquement connaître. Aussi rien n’est plus facile que de le prendre en flagrant délit de contradiction, et que d’opposer l’une à l’autre telle ou telle de ses pages. Par exemple, à propos de la bénédiction d’une barque : « Pour moi, dira-t-il, j’entendrai résonner longtemps dans ma mémoire le Te Deum qui appelle sur la barque d’un pêcheur la bénédiction divine[1]. » Une autre fois, il se fera l’apologiste des religieuses[2], ou encore il flétrira comme il convient le fanatisme de « nos radicaux, » des « sectaires » qui veulent proscrire le nom de Dieu des ouvrages scolaires, et font à « l’idéal de tant de personnes respectables » une guerre « méchante, » « maladroite » et « stupide[3]. » Ailleurs enfin, il se révèle à nous comme un lecteur fervent de l’Imitation et il nous apprend qu’il y a, dans son exemplaire de « ce livre délicieux, » des pages qui « s’ouvrent toutes seules[4]. » Et c’est le même homme qui écrira : « J’aurais plusieurs reproches à faire aux moines. J’aime mieux dire tout de suite que je ne les aime pas beaucoup[5], » ou encore, à propos de saint Antoine : « Cet homme seul commande une innombrable armée, une armée obéissante, ignorante et féroce, trois fois invincible[6]. » « La philosophie du XVIIIe siècle, dira-t-il ailleurs, avait affranchi les intelligences[7]. » Et l’éloge des contemporains de Voltaire revient souvent sous sa plume : « Ils surent s’affranchir des vaines terreurs, déclare-t-il ; ils eurent l’esprit libre et c’est là une grande vertu[8]. » « Quel siècle ! s’écriera-t-il enfin. Le plus hardi, le plus aimable, le plus grand[9] ! » Michelet, comme on voit, n’aurait pas mieux dit.

Chose curieuse ! cet amoureux du XVIIIe siècle n’est point pacifiste, et il honore, — quelquefois, — les vertus guerrières.

  1. La Vie à Paris, Temps du 29 août 1886 (non recueilli en volume).
  2. La Vie à Paris, A propos des sœurs. Temps du 31 octobre 1886 (non recueilli en volume).
  3. Vie littéraire, t. II, p. 313-316.
  4. Id., t. Ier, p. 348-349.
  5. La Vie à Paris, Temps du 29 août 1886 (non recueilli).
  6. Vie littéraire, t. II, p. 226.
  7. Vie littéraire, t. Ier, p. 324.
  8. Vie littéraire, t. II, p. 160.
  9. Id. ibid. p. 236.