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sauver. Au risque de se perdre lui-même, il se met dans un bateau, traverse le courant qui était d’une rapidité étonnante et va prendre l’enfant à trois cents pas de l’endroit où il était tombé... » Les officiers municipaux de Montignac demandent une récompense pour le vaillant sauveteur[1].

Le 2 février, le Département, pour plus ample informé et pour avis, envoyait l’affaire au district de Montignac. Le directoire du district fit une enquête : plusieurs de ses membres avaient assisté à la scène « effrayante et attendrissante. » Et, le 15 février, délibérant à ce propos, il dit : « Considérant que l’on ne peut trop récompenser le citoyen qui expose sa vie au plus grand danger pour sauver celle de son semblable ; considérant d’ailleurs que la ville de Montignac, sujette à de fréquentes inondations, mérite plus que partout ailleurs de tels encouragemens, le directoire estime qu’il y a lieu à accorder au susnommé la somme de cent livres. » Voilà Barbefine pourvu. Le directoire ne s’en tint pas là. Comme il récompensait la vertu, il aima ce travail. Il inventa Cailloud dit Lachenau, qu’on oubliait et qui, somme toute, n’avait rien fait, que de se déshabiller promptement, mais qui avait eu de bonnes velléités : . la vertu est déjà dans ses primes intentions. « Le directoire ne doit pas passer sous silence une action encore plus étonnante... » Il faut, en pareil cas, exagérer... « Au moment qu’une troupe de citoyens assemblés regardait la mort de cet enfant comme inévitable, un d’eux se détache, court, sur le bord de l’eau, se dépouille et, sans être effrayé du danger, qu’il courroit, alloit se jetter à la nage pour sauver cet enfant ou : périr avec luy... » Il y allait ; et il faudrait être du Nord pour songer qu’il n’y alla point... « Le courage que l’on connoit à ce citoyen ne permet pas de douter que le nommé Cayou dit Lachenau n’eût exécuté son héroïque projet — si, au même instant, ledit Barbefine ne se fût élancé dans le bateau, qui par cette action sauva sans doute à la fois l’enfant et le malheureux qui vouloit courir, à son secours... » Le directoire du district trouvait le projet de Cailloud plus étonnant encore que l’acte de Barbefine ; pourtant, s’il accordait cent livres à Barbefine, il n’en donnait que trente-six à Cailloud. L’on s’emporte ! c’est l’enthousiasme ; puis on se calme et on remet les choses au point.

  1. Archives de la Dordogne, L. 158.