Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 18.djvu/36

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la cause que je n’aime pas. Vos lettres me plaisent précisément par le côté où vous me contredisez ; il m’est non seulement agréable, mais très utile de vous entendre abonder dans un sens qui n’est pas le mien ; car il n’y a rien de plus salutaire que la contradiction, quand elle vient d’un cœur aimant et sincère. Voilà mes motifs ajoutés à la reconnaissance et surtout à l’attrait personnel que vous m’inspirez, pour désirer vivement la durée de notre relation épistolaire ; vous ne sauriez avoir les mêmes, et je crains toujours d’être un ennui, et un embarras dans votre vie. Je veux donc par-dessus tout ne pas vous importuner au sujet de la correspondance ; je veux seulement que vous pensiez quelquefois à moi, comme à quelqu’un qui pense très souvent à vous, et qui vous veut tout le bien possible. Il est doux, ce me semble, de pouvoir se dire que nous avons au loin, très loin de nous des âmes qui s’intéressent à nous et qui vivent plus ou moins de notre vie. C’est dans cette pensée que je trouve surtout « cette petite goutte de joie, » comme dit Bossuet en son magnifique langage « qui nous est restée pour rendre la vie supportable, et tempérer par quelque douceur ses amertumes infinies. »

J’ai trouvé votre longue et intéressante lettre, — pas trop longue, notez bien, — à mon retour d’Angleterre et d’Ecosse, où je suis resté six semaines et dont je suis revenu, comme toujours, fort enthousiaste de la grandeur virile du peuple anglais, malgré ses crimes, et fort satisfait de voir les monumens et sites historiques que j’y ai visités pour la suite de mon travail monastique. J’ai été, beaucoup plus que je ne l’avais encore fait, à la campagne et me suis arrêté chez plusieurs familles protestantes et catholiques, entre autres chez lord et lady Campden, que vous connaissez, je crois, et qui sont de très bons amis à moi, puis chez lord Fielding, autre converti, très actif et très dévoué. J’ai vu de près ce confort et cette magnificence anglaise, qui n’a pas de rivaux sur le continent. J’ai été fort bien reçu partout, mais nulle part, j’ai à vous le dire, chère Comtesse, je n’ai trouvé cette exquise, et expansive cordialité, qui a fait de votre accueil à Appony un point si lumineux dans ma vie. Je dois ajouter que nulle part non plus, pas même chez les plus grands seigneurs, tels que les ducs de Norfolk, de Northumberland, de Roxburghe, je n’ai vu une pièce si belle et si bien disposée que la Bibliothèque d’Appony. Ce qui m’a le plus intéressé, c’est