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journées une part considérable aux lectures, aux préoccupations, aux œuvres religieuses : la longue énumération risquerait d’être incomplète, des conseils ou associations auxquels il apportait l’encouragement et le grand profit de sa collaboration. Les études de plusieurs de ses amis, celles en particulier de son fils aîné, assyriologue distingué, lui avaient révélé la gravité croissante des questions d’exégèse, telles que les ont posées les découvertes de la science contemporaine[1]. Quant au problème de plus en plus angoissant des rapports de l’Église catholique avec l’Etat français, Thureau-Dangin n’avait besoin de se documenter auprès de personne pour y vouer une attention inquiète et passionnée, car ce fut en réalité l’objet des méditations de toute sa vie.

Lorsque Léon XIII, peu après son avènement, promulgua la célèbre encyclique où, sans rien abandonner des principes traditionnels, il se gardait de jeter anathème à la liberté politique, et la célébrait au contraire en termes d’une émouvante élévation, le rédacteur du Français consacra à l’acte pontifical un article enthousiaste, terminé par le cri même qui jadis, sur les lèvres des foules italiennes, avait fait écho aux premières velléités libérales de Pie IX : « Merci, Saint-Père ! Courage, Saint-Père ! » Mais Léon XIII n’avait rien de la mobilité d’âme, de la nature impulsive de son prédécesseur : dédaigneux de l’ingratitude, inaccessible au découragement, il poursuivit délibérément la tâche qu’il s’était assignée, au risque d’effaroucher et de mécontenter d’excellens catholiques, notamment en France. Thureau-Dangin, sans se départir d’une respectueuse réserve, subit cette impression, qui alla en s’atténuant à mesure que lui-même attachait moins de prix aux questions politiques, à mesure surtout que le Pape se montrait plus généreusement favorable aux investigations de la science. Comment l’ami de l’exégèse n’aurait-il pas été touché de cette déclaration : « Il ne faut pas empêcher les savans de travailler. Il faut leur laisser le loisir d’hésiter et même d’errer. La vérité religieuse ne peut qu’y gagner. L’Église arrive toujours à temps pour les remettre dans le droit chemin. » Déjà ébranlé, Thureau-Dangin se sentit tout à fait gagné en étudiant de près le cardinalat de Newman ;

  1. Il s’en est, expliqué avec émotion à la fin du second volume de la Renaissance catholique, à propos du conservatisme étroit que Pusey apportait à la discussion des questions bibliques.