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la société et des lettres françaises, à retracer brièvement les étapes de cette existence très fière dans sa simplicité, très continue d’inspiration dans l’apparente diversité des tâches[1].


I

Paul Thureau-Dangin naquit le 14 décembre 1837, dans une maison du quartier Saint-Sulpice, dont son grand-père avait fait l’acquisition et où devait s’écouler toute son existence pari- sienne à lui-même. Son père, qui cachait une rare délicatesse de cœur sous un abord un peu froid, et une culture littéraire très complète sous une modestie parfois excessive, gérait un cabinet d’affaires, qu’il abandonna de bonne heure pour se vouer exclusivement aux œuvres de charité. Par sa mère, Paul Thureau-Dangin était petit-fils de Philibert Gueneau de Mussy, l’ami de Chateaubriand, le collaborateur de Fontanes, celui qui partagea avec Ambroise Rendu l’honneur d’être dénoncé comme le plus actif champion des idées spiritualistes et chrétiennes dans le conseil de l’Université naissante[2] ; il avait pour bisaïeul Noël Halle, médecin de Napoléon, professeur à la Faculté de médecine et au Collège de France, membre de l’Académie de médecine et de l’Académie des sciences, et il descendait par conséquent des trois peintres du même nom, dont l’un fut sous l’ancien régime directeur de l’Académie de France à Rome.

M. Thureau-Dangin père avait naguère, au temps de sa propre adolescence, traversé une pénible crise religieuse. Il en avait gardé des préventions tenaces contre l’éducation universitaire, et s’obstina à recourir pour les premières études de son fils unique à de petites pensions, où l’enseignement était médiocre et l’émulation à peu près nulle. Paul Thureau-Dangin se jugeait trop sévèrement quand il écrivait au soir de sa vie : « Je manque par cette raison d’un fond solide d’instruction classique. » Ce qui est exact, c’est qu’il lui fallut remédier par un labeur acharné aux lacunes de sa première formation littéraire.

  1. Mme Thureau-Dangin m’a fait l’honneur de me donner communication de ce qui subsiste des notes et correspondances de son mari. J’ai utilisé aussi les lettres adressées par ce dernier à son ami d’enfance Albert d’Herbelot, mon beau-père.
  2. Les dénonciations, adressées à Napoléon et conservées dans un carton des Archives Nationales, émanent surtout d’un futur doyen de la Faculté des lettres de Paris.