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J’espère bien que Paris l’emportera sur les martyrs japonais. Je vous attends avant la fin de mars. Vous arriverez juste pour la réception du prince de Broglie à l’Académie : ce sera, peut-être, la dernière solennité de ce genre qu’il nous sera donné de voir, car l’Académie sera emportée avec tout le reste. Puis il vous faudra aller voir votre beau-frère à Londres où je compte aussi faire une excursion en juin. Dans tous les cas, écrivez-moi toutes vos hésitations et vos variations : maintenant que la glace est rompue, vous n’avez plus de prétexte pour vous taire. Etes-vous vraiment mieux ? Dieu le veuille. Croyez que peu de personnes vous sont plus affectueusement dévouées que votre serviteur et ami.


Paris, ce 18 mars 1862.

Très chère Comtesse, il me semble que je ne vous ai pas assez remerciée de votre dernière lettre. J’y pense sans cesse, et je crains que vous ne m’ayez trouvé trop froid ou trop indifférent dans ma réponse un peu pressée à cette marque si précieuse de votre amitié. Je crois que vous étiez tenue à avoir un peu d’amitié pour moi, puisque vous avez d’abord provoqué la mienne et que je vous l’ai donnée si entière. Mais vous n’étiez pas le moins du monde tenue de me révéler ainsi le fond de votre cœur, ni de me mettre au courant d’un secret dont je n’avais pas le moindre soupçon : il y a donc un acte de confiance spontané et généreux dont je suis profondément touché ! J’espère n’en être pas tout à fait indigne, mais j’aime surtout à y voir une preuve véritable du caractère sérieux et solide de votre bienveillance pour moi. J’y veux puiser un motif de ne jamais douter de vous, et je vous prie instamment de me rappeler cet engagement de ma part, s’il m’arrive encore de vous fatiguer de mes reproches sur votre silence ou votre oubli. Qui sait d’ailleurs si ce n’est pas vous qui me reprocherez un jour mon oubli et mon silence ? Je ne le crois pas, mais, hélas ! je ne saurais en répondre. Qui peut répondre de soi ou d’autrui ? Je vois chaque jour tant d’exemples étranges de la mobilité du cœur humain, que je n’ose plus compter sur le mien. Et cependant, en interrogeant le passé, en fouillant ces ruines amoncelées qui sèment le chemin de ma vie, comme de toutes les vies, j’y trouve un sentiment fidèle et tendre pour toutes les personnes que j’ai aimées, — même pour celles qui m’ont dédaigné ou abandonné, — à plus forte