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Hongrie pour voir le couronnement du roi Apostolique l’été prochain, à moins toutefois que je ne sois entraîné vers l’Amérique ; car dans les Deux Mondes, et chez les démocrates américains comme chez les aristocrates hongrois, ce que j’aime et recherche par-dessus tout, c’est la justice et la liberté, également méconnues par l’absolutisme et par la révolution. Parlez-moi donc beaucoup de votre pays, de tous vos parens et amis et dites-vous bien que parmi tous ceux-ci il n’en est pas de plus dévoué que moi.


Paris, 3 janvier 1866.

Très chère Comtesse, c’est avec vous que je veux commencer cette nouvelle année. Il y a très longtemps que je désire vous écrire, mais comme il m’est très désagréable de ne pouvoir le faire de ma propre main, j’attendais toujours avec l’espoir d’être assez bien rétabli pour reprendre mon ancienne habitude avec vous. Malheureusement, il n’en est rien. Je continue à être dans le même état, je ne puis pas écrire sans une grande fatigue ; c’est pourquoi j’ai recours à la main de ma fille Madeleine pour me rappeler à votre souvenir, vous offrir tous mes vœux et vous remercier de votre lettre du 6 juillet dernier. J’ai vu par cette lettre que vous aviez su la rude épreuve à laquelle j’ai été condamné et que vous vous faisiez illusion sur ma prochaine guérison : les médecins, tout en affirmant que je guérirai un jour ou l’autre, ne me laissent pas entrevoir le terme de ma maladie. Il y a maintenant près de neuf mois qu’elle dure, et pour m’encourager on me cite des cas semblables au mien qui n’ont été guéris qu’au bout de deux ou trois ans !

Il serait difficile d’imaginer une épreuve plus contraire à mon caractère et à ma nature toujours habitués depuis le berceau au mouvement et au travail. Je sais bien cependant que je pourrais être encore plus à plaindre, puisque j’ai conservé l’usage de mes yeux et de ma tête, et que je puis lire pendant plusieurs heures par jour.

Je me résigne donc le mieux que je puis à l’immobilité et à l’oisiveté qui sont devenues mon partage. J’espère que mon âme profitera de cette croix vraiment assez lourde, et je compte sur vos prières, chère Comtesse, comme sur celles d’une véritable amie, pour m’aider à obtenir les grâces dont j’ai besoin pour tirer un profit spirituel de ce qui m’arrive...

Ai-je besoin de vous dire que j’ai bien pensé à vous et à vos