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et le moyen âge, vous avez pu être jeune sur ce point si longtemps... Non, mon ami, pour vous comme pour moi, le temps n’est plus d’être jeune... J’éprouve de tout cela, que j’ai vu d’aussi près, de plus près que vous, un sentiment tout différent du vôtre. Ma foi grandit à ces spectacles. La colonne et le fondement de la vérité, comme dit saint Paul, posant sur des hommes en qui sont les passions des hommes, qui ont fait, qui font et qui feront des fautes de conduite de tout genre ; la nuée des saints gouvernée des hommes qui ne sont pas des saints et cela durant depuis dix-huit siècles et, malgré cela, les saints ne cessant d’être dans l’Église... et la grande figure de l’Église resplendissant à travers les siècles bien au-dessus de ses faiblesses, dans une lumière inaccessible aux misères humaines... voilà qui est divin !... »

Très chère Comtesse, je me suis laissé aller à vous transcrire ces deux pages de notre grand évêque, d’abord parce qu’elles valent bien mieux que tout ce que je pourrais vous écrire, et ensuite parce qu’elles me semblent pouvoir avoir une certaine utilité même pour vous. — Car vous êtes, comme j’étais jadis, trop enthousiaste d’une certaine direction qui est dans l’Église, qui la domine et la conduit à cette heure, mais qui n’est pas toute l’Église, Dieu merci, et qui passera comme passe tout ce qui est violent et einseitig. Je me demande souvent (pour parler comme Mgr Dupanloup) comment une femme bien née, délicate et distinguée comme vous, a pu se laisser séduire, non par telle ou telle exagération de doctrines, mais par cet ensemble grossier de passions, de préjugés et de rancunes qui se personnifie dans le Monde ! Vous me reprochez d’être irréconciliable avec ce parti. Vraiment oui, je le suis et le serai toujours, mais toujours beaucoup moins que deux hommes bien autrement dignes de votre confiance que moi, l’évêque d’Orléans et le comte de Falloux... Je voudrais que vous pussiez entendre, pendant cinq minutes seulement, l’un ou l’autre de ces grands hommes de bien sur le journal ou sur l’écrivain pour qui vous avez de si étranges faiblesses !

Ce pauvre Falloux vient de faire son apparition annuelle à Paris. Il ne vit plus huit jours de suite sans crise névralgique : il est toujours hors d’état de lire ou d’écrire un seul mot : ce qui ne l’empêche pas de dicter, quand il le faut, des lettres ou des articles admirables et d’être toujours l’homme du bon