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à Paris : d’ailleurs, l’âge me vient, mes yeux se fatiguent et mes jambes aussi : je n’ai plus la force matérielle de lire, écrire et faire face à tous les engagemens, à toutes les occupations comme autrefois. Les deux mois et demi que je viens de passer à Paris ont donc été pour moi une très grande fatigue, surtout à cause du long et rude travail auquel je me suis livré depuis un mois sur cette question américaine, où je crains beaucoup que nous ne soyons pas d’accord... J’ai aussi eu fort à faire pour rendre hommage, dans un discours à la Société de l’histoire de France, dont je suis vice-président, à la mémoire d’un de nos anciens collègues et amis, le comte Beugnot. Enfin, je suis occupé à faire imprimer mes deux nouveaux volumes des Moines d’Occident : et, comme cette impression entraîne avec elle la nécessité d’une révision attentive, c’est encore une grande fatigue. Pauvre chère Comtesse, vous serez cruellement trompée dans votre attente au sujet de ces volumes. Ils sont bien loin d’offrir le même intérêt que les premiers, même à mes yeux ; et, s’il en est ainsi de moi, leur auteur, jugez de ce qu’en pensera le public ! Je regrette bien d’avoir embrassé un sujet si vaste, si éloigné des intérêts présens, et où je suis condamné à me perdre dans les détails. Mon goût pour l’érudition m’égare sans cesse et m’impose des labeurs inutiles, dont le public d’aujourd’hui ne me tiendra aucun compte. Enfin il faut continuer cette tâche, puisque je l’ai entreprise, et même recommencée après l’avoir achevée, pour obéir à l’évêque d’Orléans, comme je crois vous l’avoir raconté... De temps à autre seulement, je me permets une excursion dans le domaine de la vie actuelle, tantôt à Malines, tantôt en Pologne ou en Amérique, et là je retrouve ma véritable nature et l’arène pour laquelle Dieu m’avait créé, lorsqu’un pouvoir, des circonstances plus ou moins providentielles me l’ont fermée. J’ai toutes sortes d’actions de grâces à vous rendre d’abord pour les pièces extrêmement intéressantes que vous avez bien voulu m’envoyer par le jeune baron Hübner (j’ai lu avec autant d’intérêt que de sympathie cette brochure sur la Hongrie qui a rafraîchi tous mes souvenirs et satisfait toutes mes opinions), ensuite pour les appréhensions que vous me témoignez avec une sollicitude si vraiment affectueuse sur l’état de mon âme. Il est certain que j’ai eu une crise douloureuse et dangereuse à traverser. Je n’ose pas dire que j’en sois tout à fait sorti, mais je vais mieux, grâce surtout à mon