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honnête homme autant que la sympathie et l’approbation d’une honnête femme. J’imagine qu’il vous en aura remerciée lui-même, si toutefois sa santé toujours déplorable le lui a permis.

J’ai prolongé beaucoup plus que de coutume mon séjour d’hiver à la campagne, parce que j’avais à cœur de finir le troisième volume des Moines d’Occident que j’espère publier cette année, et aussi pour échapper aux discussions et aux agitations si pénibles qui ont suivi la publication de l’Encyclique du 8 décembre. Jetais justement à Paris lorsque ce document a paru, et je ne puis comparer la consternation qu’il a produite chez tous les catholiques non fanatisés par le monde, qu’à celle dont tous les honnêtes gens ont été accablés au lendemain de la révolution de 1848. Comme alors, on ne s’abordait dans les rues et dans les salons qu’avec une sorte de désespoir. Depuis lors, la merveilleuse éloquence et l’habileté plus merveilleuse encore de notre unique évêque d’Orléans ont réussi à transfigurer l’Encyclique, de manière à pacifier beaucoup d’esprits et à consoler beaucoup de cœurs. J’avoue que je ne suis ni consolé, ni rassuré sur les suites à mon sens lamentables de ce grand acte : ce qui ne m’empêche pas de bénir mille fois Mgr Dupanloup du bien qu’il a fait en détournant une partie de l’orage et en déconcertant les commentateurs plus ou moins autorisés qui tiraient de cette Encyclique des conséquences trop naturelles. Ne vous scandalisez pas, je vous en prie, chère Comtesse, de mes aveux. On m’écrit de Rome que votre ami M. Veuillot dit qu’il y a eu deux Pie IX : Pie IX premier de 1846 à 1850, et Pie IX deux, qui est, selon lui, le bon. Je suis, comme en tout, d’un avis opposé au sien et je suis pour Pie IX. premier, pour le pontife dont l’avènement a été salué par les acclamations des deux mondes, et qui semblait alors prédestiné a établir cette bonne intelligence entre l’Église et la société moderne, qui est absolument indispensable à l’une comme à l’autre. Nous sommes aujourd’hui bien loin de ces beaux rêves ; mais je n’en suis pas moins persuadé que cette réconciliation s’effectuera un jour ou l’autre sur le terrain de la liberté, sur ce terrain où le catholicisme a remporté des victoires si nombreuses et si imprévues de 1830 à 1850, comme on l’a vu en France et en Allemagne lors de l’explosion de 1848. La prochaine explosion, s’il y en a une de notre vivant, trouvera l’Église dans une tout autre position que celle qui lui a permis d’élever sur les ruines de la monarchie d’Orléans et de