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pourrai vous rejoindre, et vous redire de vive voix mon sincère et fidèle attachement.


La Roche-en-Breny, ce 8 mars 1865.

Très chère Comtesse, je crains que vous ne soyez tentée de me reprocher très vivement mon inexactitude, et j’avoue que toutes les apparences sont contre moi si, comme je le suppose, vous n’avez pas reçu un petit mot de moi, que je vous ai écrit presque aussitôt après avoir reçu votre longue et excellente lettre du 15 novembre... Mais soyez sûre, très chère Comtesse, que cette lettre m’a été infiniment douce, peut-être plus qu’aucune de vos lettres antérieures, car jamais, ce me semble, vous ne m’avez exprimé avec tant d’effusion la sympathie dont vous m’honorez, et qui me devient d’autant plus précieuse que je m’éloigne davantage du temps où mon nom et mes œuvres pouvaient fixer votre attention.

Je subis avec une douleur très peu résignée l’arrêt qui m’a prématurément condamné au néant et à l’oubli ; je ne me console pas d’avoir été enterré tout vivant dans la force de l’âge et du petit talent que Dieu m’avait donné, et dont j’avais usé de mon mieux pour son service. Mais le petit nombre de bonnes et belles âmes qui se souviennent de moi, dans mon tombeau, me deviennent d’autant plus chères. Je crains quelquefois de les fatiguer soit par mes exigences, soit par les témoignages d’une reconnaissance trop excessive : mais avec vous, chère Comtesse, je ne devrais pas avoir cette crainte, car je dois avouer que, depuis notre heureuse rencontre, il y a maintenant quatre ans, vous n’avez fait qu’augmenter ma confiance instinctive en vous, et mon attrait pour vous. Je suis donc sûr que vous n’êtes pas de ceux qui me reprochent de n’être pas assez stoïque ou assez chrétien, et de supporter avec trop peu de courage mon désastre : vous comprenez les sentimens qui agitent le cœur du vieux soldat, injustement désarmé et dépouillé de ses grades, surtout à cette époque de l’année où renaît partout la vie parlementaire et où je suis réduit à entendre de loin le bruit des combats où ma place était autrefois marquée et n’était pas la dernière. J’ai été très touché que vous m’ayez pris pour confident de votre très légitime enthousiasme pour le dernier ouvrage de M. de Falloux. Je lui ai transcrit tout ce que vous m’écrivez sur lui, parce que je sais par expérience que rien ne console et ne relève un