Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 18.djvu/268

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en général : mais n’oubliez jamais que les rois et les empereurs sont aussi des humains, et qu’ils ne valent guère mieux que les autres. Ne croyez pas que je me fasse le moins du monde illusion sur les dangers et les orages des temps modernes. Je ne crois à rien d’idéal. Mais je dis qu’il faut prendre son parti du temps où l’on est, de la société où Dieu nous a fait naître, et qu’il y a toujours moyen, excepté sous le despotisme, de faire honorablement son devoir. Adieu, très chère Comtesse : parlez de ma sympathie à la comtesse Julie et croyez-moi tout à vous.

Dites-moi si vous avez lu les Lettres d’Eugénie de Guérin, une délicieuse, que je vous donnerai si vous ne l’avez pas encore. C’est la fille d’un gentilhomme très pauvre, qui faisait elle-même sa cuisine, mais à qui Dieu avait donné une âme sainte et un style supérieur à celui de tous les académiciens.


Maiche (Doubs), ce 20 juillet 1864.

Très chère Comtesse, il y a longtemps que j’aurais dû vous remercier du très grand plaisir que vous m’avez fait en me recommandant le baron Sennyey et sa femme[1].

Nous avons été charmés de faire leur connaissance, d’abord à cause de vous qui vous intéressez à eux, puis à cause de la Hongrie qui nous intéresse toujours beaucoup, enfin et surtout à cause d’eux-mêmes. Croyez bien d’ailleurs, très chère, que tous ceux que vous nous recommanderez seront les bienvenus, sans qu’ils aient besoin d’avoir tous les agrémens du ménage Sennyey. Quant à moi, j’aime tout ce qui est Hongrois ; je vous aime, vous surtout et assez pour que votre Patrie et vos compatriotes m’intéressent parce qu’ils vous appartiennent, et de plus, depuis le sacrifice de notre Catherine, la Hongrie m’est devenue de plus en plus chère, parce que ce pays l’avait particulièrement frappée, amusée, et qu’elle m’y est apparue dans tout l’épanouissement, tout l’entrain de sa charmante jeunesse… Vous sentez, chère Comtesse, que tous ces détails s’adressent autant à la mère qu’à l’amie, et c’est assez vous dire combien je m’associe à toutes les émotions que vous me dépeignez si bien, à l’occasion de la première Communion de votre cher fils. Je vous félicite

  1. Le baron Sennyey fut le chef du parti conservateur en Hongrie : sa femme remplit, lors du couronnement du roi de Hongrie en 1867, les fonctions d’une grande maîtresse.