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et enfin de votre pays que vous n’aimez pas assez, comme, moi aussi, j’aime trop peu le mien, et c’est un malheur encore plus qu’un tort.

Cette lettre vous arrivera, je l’espère, le jour de votre fête, la Sainte-Sophie, que je vous souhaite du fond d’un cœur qui vous est très affectueusement dévoué.


La Roche-en-Breny (Côte-d’Or), ce 24 juin 1863.

Chère Comtesse, votre lettre du 4G m’est arrivée fort à propos pour m’autoriser à célébrer avec vous en ce jour de fête l’anniversaire de mon séjour à Appony. Déjà deux ans écoulés depuis ce temps où nous sommes devenus amis, peut-être pour le reste de nos jours ! j’ai le culte des anniversaires, culte un peu puéril, je l’avoue, mais qui m’a toujours été cher et qui me paraît, d’ailleurs, assez conforme à l’esprit de l’Église, même quand on ne l’applique qu’à des souvenirs ou à des objets de l’ordre temporel. Ce séjour d’Appony, grâce à votre affectueuse hospitalité, grâce à je ne sais quoi de cordial et d’intime que respirait tout votre être, pendant ces trois jours passés sous votre toit, est demeuré comme un point lumineux dans mon passé. Je n’ai rien éprouvé de semblable depuis lors ; et, même avant, je ne me rappelle pas beaucoup de joies plus vives dans ma vie. Je vais du reste vous donner aujourd’hui une preuve suprême de l’empire que vous avez conquis sur moi dès ce début de nos relations, en vous confiant le secret le plus intime et le plus douloureux. La confidence que vous m’avez faite, il y a un an, et que vous avez oubliée peut-être, m’enhardit à vous faire celle dont je vous importunerai en ce moment. Je cède d’ailleurs à mon attrait pour vous, en même temps qu’à l’impérieux besoin d’épanchement qui m’a toujours dominé. Sachez donc que Catherine, ma fille chérie, cette Catherine charmante que vous avez tant appréciée à Appony, est entrée dimanche dernier au Sacré-Cœur ! C’est encore un profond secret : elle dit que ce n’est que pour essayer de la vie religieuse et elle a choisi le moment où tout le monde a déjà quitté Paris et où elle a pu se cacher au noviciat de Conflans sans que personne le sût, afin de se réserver la liberté de rentrer dans le monde sans éveiller l’attention et les bavardages des salons, dans le cas où elle ne se reconnaîtrait pas la vocation qu’elle se croit. Mais, hélas ! le calme profond de son âme et l’inaltérable fermeté de sa volonté