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adressée à Rome, il y a je crois cinq mois, qui ait pu vous indisposer contre moi ? Je l’ignore absolument : pour vous dire la vérité, je crains que vous n’ayez été veuillotisée depuis votre arrivée à Rome. S’il en est ainsi le mal est irréparable, car j’ai remarqué que ceux dont le cœur avait été atteint par ce venin, n’en guérissent jamais. Vous y étiez déjà un peu prédisposée ; je comptais sur la générosité de votre nature, sur la franchise impétueuse de votre caractère, pour vous en préserver ; mais je sais par expérience que, même avec ces conditions de salut, on succombe à la contagion.

Quoiqu’il en soit de mes appréhensions, et de mes ressentimens, je ne puis refuser à lady Campden les lettres qu’elle me demande pour vous. Elle vous a rencontrée, il y a deux ans, chez M. votre beau-frère, mais elle désire entrer en relation plus intime avec vous. Je l’y ai beaucoup encouragée dans un temps où je me croyais sûr de votre bienveillance pour moi, et voici maintenant qu’elle me rappelle tout ce que je lui ai dit de vous et qu’elle me demande de vous la recommander très spécialement. Lady Campden est issue par son père de la plus haute noblesse d’Ecosse. Sa mère était fille (illégitime) du roi Guillaume IV. Son mari est fils aîné d’un pair d’Angleterre, très considérable et surtout très protestant, désespéré et indigné de la conversion de ce fils qui a été converti par sa femme. Celle-ci est une personne vraiment intelligente, ardemment dévouée à la religion qu’elle a embrassée, et qu’elle sert au prix de ces persécutions domestiques et sociales dont les Anglais sont si prodigues envers tous ceux qui abandonnent le giron de leur prétendue Église. Je ne connais à lady Campden qu’un seul défaut : celui d’être un peu trop entichée de sa grande naissance et de sa position aristocratique. Comme je l’en ai souvent grondée, je n’éprouve aucun scrupule à vous dire d’elle ce que je lui dis à elle-même. D’ailleurs, je l’aime beaucoup, et elle a été pour moi, depuis bientôt dix ans, une amie très fidèle et très dévouée. Je vois bien que je n’en pourrai jamais dire autant de vous, qui m’avez gâté en commençant et qui me tenez rigueur, alors que j’aimerais tant à pouvoir compter sur vous. Sur quoi, je vous abandonne à vos remords, si tant est que vous en ayez, et aussi aux consolations de la semaine sainte à Rome. Que je vous envie ! Si vous ne priez pas beaucoup pour moi, pendant ces saints jours, vous serez une ingrate.