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de vieilleries qui doivent disparaître sous peine de conduire à des résultats absurdes ou odieux, comme dans l’affaire de l’enfant Mortara, et, en revanche, qu’on n’y tient pas assez de compte de la liberté et de l’honneur, deux choses sacrées à mes yeux et dont je ne veux pas qu’on me parle comme de chimères profanes, étrangères ou hostiles à la religion. Si je pouvais aller à Rome pour n’y voir personne ou n’y voir que vous, vous m’y verriez certainement arriver avant Pâques ; mais je sens que j’y serais tous les jours exposé à critiquer ce qui est infiniment respectable et à discuter avec des personnages que je blesserais, sans les éclairer. Me pardonnerez-vous, chère Comtesse, d’avoir dépensé ces quatre pages à vous parler si longuement de moi, surtout à me montrer à vous, sous un aspect qui ne vous édifiera pas ? Oui, je l’espère et je le crois, car vous devez désirer me connaître tel que je suis. N’allez pas, toutefois, me regarder comme un hérétique ou comme révolutionnaire, parce que je demeure inébranlablement fidèle aux nobles croyances de ma jeunesse, et à la conviction que la société moderne ne se réconciliera avec l’Église catholique que sur le terrain de la liberté et de l’honneur. J’entends par honneur cette probité fière et délicate, qui est la fleur de la vertu, et dont les prêtres en général font beaucoup trop peu de cas dans leurs complaisances lamentables pour la force et le succès, lorsque le succès et la force leur semblent favorables.

J’aime à croire que nous ne différons pas tant que vous le croyez peut-être en politique. Je vous assure que personne ne saurait faire des vœux plus sincères que moi pour la restauration et la stabilité de ce grand empire et de l’auguste race de Rodolphe de Habsbourg et de Marie-Thérèse. Dans votre si longue et si intéressante lettre, rien ne m’a fait plus de plaisir que vos impressions sur une réconciliation prochaine et possible entre la Hongrie et l’Autriche. Moi aussi, d’après le peu que je sais, j’ai bon espoir de ce côté. J’espère surtout qu’il sera donné à votre excellent beau-frère le Comte Georges de présider à cette réconciliation qui lui a coûté déjà tant de peine, puis que vos chers enfans, en grandissant, ne seront pas condamnés à subir l’influence des fatales dissensions qui ont troublé leur noble patrie. En pensant à vous, chère Comtesse, je ne sépare guère votre image de celle de vos enfans, et vous ne m’en saurez pas mauvais gré. Ils me connaîtront peu et ne m’aimeront guère.