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agréable soirée près de vous, puis celles qui vous reproduisent avec vos chers enfans au moment de sortir en voiture. Tout cela m’a fait revivre pour un moment dans votre demeure si hospitalière. Il m’a semblé que je me retrouvais sous votre toit, et sous votre garde. Vous ne pouviez donc pas me faire un présent plus agréable, et qui vous valût plus de reconnaissance de ma part, excepté, toutefois, celui d’un bon portrait de vous, si jamais vous en avez un. J’ai devant moi votre photographie : je l’aime bien mieux que rien, mais l’expression et l’attitude ne répondent pas du tout au souvenir que j’ai conservé de vous. J’ai vu à l’exposition de Londres d’excellentes photographies faites à Vienne, et j’imagine qu’un jour ou l’autre, vous ferez faire la vôtre par un véritable artiste, et alors vous ne m’oublierez pas, j’en suis sûr.

Pardonnez-moi la confiance présomptueuse que vous m’inspirez. Nous nous sommes si peu vus, et cependant je me sens si at home avec vous ! comme chez moi ! Savez-vous ce que cela veut dire : at tome ? Savez-vous l’anglais ? Je crains que non. Pour moi, c’est la première langue que j’aie parlée, et peut-être celle que j’aime le mieux. Elle est faite surtout pour exprimer les sentimens profonds et généreux. J’ai lu dernièrement un volume de vers, par une jeune Anglaise convertie au catholicisme, pauvre et malheureuse dans son intérieur, où elle vit avec un père qui déteste notre religion ; ce volume m’a ému comme je ne l’avais pas été depuis longtemps. Je voudrais vous faire partager mon admiration, et si vous lisez assez bien l’anglais pour comprendre la poésie moderne, je vous l’enverrai certainement. Il m’a été donné par lady Campden, qui est, je crois, de vos amies. Cela s’appelle : Legends and Lyrics, by Adelaïde Ann Procter.

Nos lettres se sont croisées en route. Depuis que je vous ai écrit, nous avons eu ici une nombreuse réunion, trop nombreuse pour notre vieux petit manoir : c’étaient les principaux amis et écrivains du Correspondant, parmi lesquels trois au moins sont connus de vous. D’abord, l’admirable évêque d’Orléans, qui nous a donné quinze jours et nous a paru plus animé, plus agréable, plus édifiant que jamais. Il était encore plein de son séjour à Rome, où il vous a vue plusieurs fois. Puis M. Cochin, très touché de votre bon souvenir, et enfin le cher Falloux, toujours si souffrant, incapable de rien écrire, de rien lire, condamné à rester couché sans voir personne pendant les trois quarts