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réalité qu’ils contiennent. Ainsi, la vraie littérature donne le plus de réalité que puisse jamais assumer l’esprit humain ; et la fausse littérature, celle qui improvise les mots et les gaspille, improvise la réalité, la gaspille. Elle la touche à peine ; et elle ne sait pas ce qu’elle en touche : au surplus, elle n’en touche rien.

Corollaire : « La haine de l’art, c’est la haine de la forme… » Et c’est, du même coup, « l’oubli de la vie. » N’essayons pas de séparer la littérature, ou l’art des mots, et la prise en possession de la vie. Seulement, l’art des vrais mots ! Ce sont les mots vivans ; ce sont les mots qui, ayant vécu, vivent encore. M. André Suarès, avec la meilleure énergie, proteste contre l’absurdité des langues artificielles. Et ces langues artificielles, pour éviter quelques objections parmi d’autres, consentent à n’être pas des idiomes littéraires : elles seront, disent-elles, pratiques. Mais leurs mots inventés ne sont pas les signes d’une réalité concrète : ils ne sont les signes de rien du tout ; de sorte qu’ils impliquent du mensonge. Les langues artificielles, voici le comique de l’aventure : elles serviraient à cette niaiserie que leurs tenans appellent littérature ; c’est avec la réalité que n’ont pas de rapport ces instrumens pratiques. Langues artificielles, les volapucks qu’on a forgés ; langue artificielle, une langue de néologismes et le futile parler contemporain, celui des faux littérateurs. M. André Suarès, avec la même énergie, proteste contre la réforme de l’orthographe, qui dénuerait les mots de leur passé, qui leur ôterait le témoignage de leur longue vie, de leur longue et pleine réalité. Il écrit : « Les mots ne sont des mots, comme on dit, du vent et plus vain que le souffle d’un fou dans un trou de serrure, les mots ne sont vides que pour les gens sans latin… Le latin porte la raison de France : il fait raisonner juste, parce qu’il fait vivre les termes du raisonnement… Le français sans le latin est une langue de hasard, comme les autres, abandonnée à la charité publique. Dans le latin, le français est noble ; il vit selon son rang, qui est le plus élevé ; il a ses titres de famille et d’héritier, sa maison, son foyer millénaire, son père et sa mère authentiques : enfin il est né… Pour un Français, le latin est un exercice à mieux être ce qu’il est. »

Caërdal refuse les doctrines : elles lui masqueraient la réalité. Il ne leur permet pas de le borner ; il cherche la réalité au delà des doctrines. Mais la raison pour laquelle il refuse les doctrines indique au moins la volonté qu’il a placée hors de toute incertitude : la volonté de conquérir, condottiere, une ample réalité, que l’art organise, l’art étant l’ordre et, l’ordre, la vie. Telle est son idée de la littérature : on