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les embellit : même, il lui arrive de trop les embellir. Certaines idées sont, dans un ensemble de pensée, les servantes des idées principales : il pare et costume ainsi que les princesses les servantes, du moment qu’il les admet ; et il ne les souffre pas autrement. Il résulte de là un peu plus de confusion. Il résulte enfin de tout cela que, si le naturel est, dans le style, une vertu bien aimable, les œuvres de M. André Suarès, qui ont tant de vertus éclatantes, n’ont pas cette amabilité.

En le remarquant, je n’offense pas Caërdal. Il fait fi de cette amabilité. Mais alors, qu’est-ce donc que cette littérature qui ne désire pas de plaire, qui s’accommode assez bien de déplaire, qui aurait honte de séduire trop aisément le lecteur, qui ne tient pas à le persuader, qui le tarabuste et qui, en fin de compte, s’impose avec de si merveilleux prestiges ? La littérature, pour Caërdal, c’est la fin par excellence. Nous avons des écrivains si occupés ailleurs que l’on rougit, à leur propos, de les entendre dire : « C’est de la littérature ! » avec une arrogance de penseurs. Qu’ils pensent ; et qu’ils abandonnent au prochain le culte frivole et passionné de la littérature ! La littérature est, de nos jours, employée à un grand nombre d’usages, indignes quelques-uns. Les gens qui l’emploient, et fût-ce pour des apostolats qui ne sont pas tous répréhensibles, finiraient par la détourner d’être un absolu. J’entends bien nos procurateurs ; ils ont le sourire et demandent : « Qu’est-ce que la littérature ? » On bavarde, et peut-être la plume à la main : ce n’est pas de la littérature. Afin de répandre une opinion qui vous entête, on écrit des livres : et ce n’est pas nécessairement de la littérature. Il y a un malentendu, et qui vient de ce que la littérature a (en apparence) le même outil dont se sert tout le monde et pour l’usage le plus familier : les mots et les phrases, mots identiques, et gouvernés par la même syntaxe. Alors, où commence la littérature ? Les autres arts, celui du peintre, par exemple, ou du sculpteur ou la musique, évitent cette confusion. Les mauvais peintres sculpteurs et musiciens sont pourtant des peintres, sculpteurs et musiciens ; et tout écrit n’est pas de la littérature. Aux différentes époques de l’histoire, il a fallu que l’écrivain revendiquât l’indépendance de son art. C’est ce que fait Racine quand il affirme que son poème n’a pas d’autre objet que de plaire. Mais aujourd’hui Caërdal veut que la littérature coure le risque de déplaire. Il va loin ; et il donne à la revendication cet accent nouveau, plus effronté. C’est qu’il a d’autres barbares à repousser ; et c’est qu’il a senti le danger d’une petite concession : de là, son intransigeance et de là son insolence. Plus on voit menacée la littérature, — et qui doute qu’elle ne le