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facilité. Je ne l’engage pas non plus à chercher la difficulté. Je voudrais qu’en tâchant d’être facile, l’écrivain prît son parti de la difficulté inévitable : mais seulement de celle-là. S’il prétend à une extrême facilité, il renonce à rendre les idées qui sont, par leur qualité même, difficiles. Et il y a de telles idées : ce sont peut-être les plus belles et les plus dignes de tenter un écrivain. Mais s’il ne tâche point d’être, dans la difficulté, aussi clair que la qualité même de l’idée le lui permet, il rebute son lecteur. Mettons que ce soit peu de chose. En outre, il n’a point accompli tout son devoir d’écrivain, qui est de réaliser sous les espèces de la beauté intelligible le mystère de la pensée. Le devoir de l’écrivain : surtout, le devoir de l’écrivain français, quand toute notre littérature est un emblème de clarté.

Quelques-uns des ouvrages de M. André Suarès, — et, notons-le, non les plus récens, — ont le tort d’être excessivement difficiles, parfois inutilement difficiles : Voici l’homme et Bouclier du Zodiaque. D’ailleurs, que de beautés dans ces deux livres ! « Sur le ciel de la Saint-Martin, un nuage clair, un seul, une aile qui se retire vers le Sud : le soleil dit adieu de la main… » Bouclier du Zodiaque est un recueil d’images dessinées avec finesse et force, gravées, coloriées à ravir et toutes pleines de significations ou, mieux, d’allusions aux plaisirs et aux douleurs qui passent dans la nature et dans l’âme comme des fantômes. Habiller joliment les fantômes de l’âme et de la nature, jeu exquis de l’art ! Voici l’homme est un recueil de notes qui, même dans leur réunion, gardent un air éparpillé, plutôt un air éperdu. L’économie des chapitres ne réussit pas à les composer. Éparpillées, elles fatiguent l’attention ; mais, éperdues, elles ont une sorte de sauvagerie farouche et frissonnante. Elles sont dominées, toutes, par la menace de la mort. Elles sont des idées et des plaintes ; des cris, et qui s’exhalent en musiques singulières ; du désespoir, et tout excité d’allégresse : la plus vive ardeur spirituelle résiste contre le néant, et chante, et prodigue ses suprêmes prouesses. « La vie, ô amour, qui sauvera la vie ?… La lumière du cœur, qui ne se couche point… Ô mort, geôlière aux verrous de fer, brute sourde, qui t’a donné ces cachots éternels ? Voici l’amour qui pleure : Amour, le frère du soleil, dans la prison de l’ombre… Le soir tombe à genoux. Et ce blessé sanglant, ayant frémi, se couche pour mourir tandis que ses lèvres pâlissent et que ses yeux verts se plombent… » Qui assemble ainsi les mots est un grand poète ; et qui, à de telles phrases, éprouve peu de joie n’aime pas la littérature. Pour en trouver de telles, et à profusion, il suffit qu’on ouvre Voici l’homme et Bouclier du Zodiaque.