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REVUE LITTÉRAIRE

CAËRDAL[1]


M. André Suarès signe, à la Nouvelle Revue française, une « chronique de Caërdal ; » et il a publié, sous ce titre Voyage du Condottière, le récit d’un voyage qu’il a fait en Italie. Le Condottière s’appelle Jan-Félix Caërdal. Je ne crois pas indiscret de considérer Caërdal comme le personnage littéraire de cet écrivain souvent admirable, très solitaire, volontiers difficile et qu’on ne saurait aborder sans nul embarras. Or, dans les pages liminaires du Voyage, l’auteur trace lui-même un portrait de son Caërdal ; et, de cette façon détournée, il nous indique assez nettement ses volontés d’art : il nous aide à l’approcher.

Si l’on dit que voilà bien des cérémonies, je ne dis pas non. Et certes nous allons, avec plaisir, plus familièrement à la plupart des œuvres contemporaines. Mais enfin, lisons les premières lignes de Cressida. La belle Cressida, qui aime sa beauté, non ses amans, dit à Troïlus : « Troïlus, vous allez me coiffer. Toutes mes femmes m’ont quittée pour voir mourir Hector. Mais vous êtes là, Troïlus. Vous vous battrez demain. Vous défendrez la Ville, les tombeaux, les palais, et tant de causes justes. Vous tuerez votre ennemi, ou vous ferez tuer. Vous pleurerez demain. Et, pour rêver, attendez cette nuit. Votre beau génie trouvera le temps d’enfanter quelque prodige à l’insomnie, une œuvre d’art ou une action héroïque. Mais, à présent, vous allez me coiffer. Prenez le peigne qui me vient, je crois, de notre Prométhée lui-même : Pandore est la plus antique de mes tantes, et ce peigne

  1. M. André Suarès. Publications toutes récentes : Cressida (Émile-Paul, éditeur) ; Idées et Visions (même éditeur) ; Trois hommes (Éditions de la « Nouvelle Revue française »). Antérieurement, une douzaine de volumes, qui seront mentionnés au cours de cette étude.