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certain talent qu’il serait vain de lui contester. « Depuis 1904, écrit M. Donati, même aux yeux des plus fervens admirateurs de la Laus vitae, de la Francesca, de la Figlia di Jorio, la décadence commence pour continuer, irrémédiable et précipitée. Les œuvres se succèdent avec un emportement qui devrait être la démonstration continuelle d’une inépuisable exubérance. « Les forfanteries excessives donnent la sensation pénible et le trouble que laisse dans l’âme le raisonnement d’un fou. Ce n’est plus de l’orgueil. C’est un délire ambitieux. » Pour M. Borgese, M. d’Annunzio a donné toute sa mesure. Il ne fera rien de supérieur à ce qu’il a fait. Désormais il n’est plus qu’un obstacle sur la route où s’avancent les « jeunes. » Et M. Borgese écrit ces mots d’une effroyable franchise : « Parmi les grands poètes que l’Italie attend, il y en a beaucoup qui volontiers verraient mourir d’accident le despote de la littérature italienne. Et n’étaient ces maudites défenses que Corrado Brando lui-même ne put enfreindre impunément, ils brandiraient le poignard sans autre. » Effroyable aveu ! n’est-il pas vrai ? Les Athéniens, fatigués d’entendre appeler Aristide « le Juste, » se contentèrent de l’envoyer en exil. Parmi les gens de lettres d’outre-monts s’en trouve-t-il vraiment pour souhaiter l’assassinat de leur plus grand confrère, las qu’ils sont d’entendre célébrer son génie... par les étrangers ?...

« Gabriele d’Annunzio, déclarent-ils, a donné sa mesure. Il ne se renouvellera plus. Il a donc cessé d’être intéressant. » C’est bientôt dit ; mais de quel droit affirment-ils que cet auteur a épuisé la série de ses avatars ? Il a stupéfié le monde par son aptitude à revêtir incessamment de nouveaux aspects. Tout porte à croire qu’il n’a pas dit son dernier mot comme Protée littéraire. Parmi ses ouvrages les plus récens, il en est trois : le roman Forse che si, forse che no, le recueil de Laudi intitulé Le Canzoni della gesta d Oltremare et la Pisanella, jouée à Paris le printemps dernier, qui sont du G. d’Annunzio ancien et déjà vu, Surhomme, pervers et chauvin ; mais il en est deux : le Martyre de saint Sébastien et Contemplazione della Morte qui montrèrent l’auteur sous un jour tout à fait inédit.

Avec le Martyre de saint Sébastien, M. d’Annunzio est devenu mystique, d’un mysticisme, à vrai dire, de qualité médiocre et où il entre des élémens assez impurs ; mais toute impureté est