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me soit permis de ne point croire. Évolution, si l’on veut ; transformation, si l’on préfère ; mais chute et décadence, non pas. M. Gargiulo ne cesse de dénoncer l’insincérité de M. d’Annunzio dans son incarnation d’esthète précieux : « Quel dommage, dit à Andrea Sperelli un de ses amis, que tu ne sois point assis à la table d’un duc du XVIe siècle, entre une Violante et une Imperia, avec Pierre Arétin et Marc Antoine ! » Un tel souhait, un tel regret paraissent à M. Gargiulo au delà du ridicule et de l’absurde : « Le sentiment, déclare-t-il, d’un poète notre contemporain exprimant à un ami le désir de se trouver avec lui dans un banquet du cinquecento ne peut être pris au sérieux ! » Pourquoi donc ? au nom du ciel 1 Le souhait d’Andrea Sperelli et de Gabriel d’Annunzio ne me semble point, à moi, si stupide. Tant s’en faut. Et volontiers leur dirais-je comme certain personnage de Molière : « Tudieu, vous avez le goût bon ! » La poésie ne s’est-elle pas toujours nourrie de nostalgies de cette sorte ? Ces élans mélancoliques vers un passé plus beau d’être le passé ne sont-ils pas un thème littéraire par excellence ? A ce propos, j’observe avec plaisir que l’autre critique récent de M. d’Annunzio, M. Alessandro Donati, généralement plus sévère encore que M. Gargiulo, partage mon admiration. Il déclare impossible de rien trouver de plus parfait au point de vue du métier que Dolce grappolo ou la Ballata di Astioco e Brisenna. Il constate que, sous l’artifice de ces vers, « une simplicité de la représentation, une spontanéité libre et franche se découvrent, » qualités que les romantiques de la troisième période qui, eux aussi, les poursuivaient « ne surent ni ne purent jamais atteindre » à ce degré-là.

Le sentiment de M. Donati sur les Elegie romane est plus favorable encore : « Jamais peut-être, avoue-t-il, on n’avait senti et rendu la beauté de Rome avec une telle intensité. » Il marque naturellement l’influence sur cette littérature compliquée « de la partie la moins saine de la culture moderne » et il regrette qu’une irrésistible pente entraîne M. d’Annunzio vers un tarabiscotage excessif. Le poète n’en a pas moins atteint dans ses Elegie romane « je ne dirai pas l’apogée de son art, écrit M. Donati, mais l’eurythmie la plus complète. » Et tous ces éloges sont mérités. Avec M. Croce on peut regretter que les voix du passé romain n’aient pas donné à M. d’Annunzio les mêmes fières leçons qu’à un Giosuè Carducci, par exemple.