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premiers essais, alors qu’on a oublié ceux de ses contemporains moins doués.

Ce que j’en dis n’est point, d’ailleurs, pour louer ou seulement pour justifier son naturalisme. Tout au plus voudrais-je plaider en faveur de cette première manière de M. d’Annunzio les circonstances atténuantes. Pour échapper à l’influence naturaliste à l’âge où il la subit, il aurait dû posséder un caractère d’une trempe peu commune. Or, s’il tient du ciel des mérites immenses, il n’en a point reçu cette vertu-là. Ses plagiats, ses fameux plagiats le prouvent surabondamment. Et sans doute ils ne prouvent que cela. M. d’Annunzio s’est rendu coupable d’indélicatesse, — et d’imprudence, — en copiant M. Péladan et d’autres seigneurs de moindre importance ; mais qu’est-ce donc que représentent dans son œuvre énorme ces quelques pages dérobées ? Les auteurs classiques ont pris aux anciens bien plus qu’à ses contemporains M. d’Annunzio. J’aime à voir, du reste, que la cause est entendue, l’incident clos. M. Donati, si prévenu qu’il soit, constate qu’Alfieri et Monti ont fait pis et qu’ils ne sont point déshonorés pour cela : « Et les Promessi Sposi ? demande-t-il. N’ont-ils pas été décomposés en épisodes épars dans les romans de Walter Scott ? » Quelque jugement que la postérité doive porter sur M. d’Annunzio, elle ne verra pas plus un simple plagiaire dans l’auteur de l’Intrus que dans celui des Fiancés.

Les premiers vers et les premières proses de M. d’Annunzio étaient d’un terrien, presque d’un campagnard. Il suffira de quelques mois à Rome pour faire de ce rural un citadin, un citadin et même un muscadin. Transformation regrettable, transformation déplorée par ses meilleurs amis... et ses meilleurs ennemis de la critique. Dans son Livre de Don Quichotte, Edoardo Scarfoglio, qui compta parmi les premiers, a décrit, avec une minutie qui ne laisse rien à désirer, la métamorphose de la chrysalide abruzzaise en papillon romain. Il montre M. Gabriel d’Annunzio arrivant à Rome pauvre et pauvrement vêtu, timide et sauvage, mais plein d’orgueil et plein d’appétit. Quelques mois plus tard, il était méconnaissable. Suivant l’expression de M. Scarfoglio, il était devenu « une coquette spéculant sur sa timidité et sa sauvagerie. » Quelques mois encore et M. d’Annunzio recevra de son ami (Seigneur, délivrez-moi de mes amis !) ce surnom qui n’a pas été oublié : « la