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et qui sait mieux jouir d’un ciel de printemps que d’une ligne d’architecture. La baronne d’Oberkirch, accompagnant à la Cour de France son amie la grande-duchesse Marie, se réserve un matin de liberté pour visiter « ce Petit-Trianon de la Reine ; » elle y arrive de bonne heure, alors que personne encore ne s’y promène : « Les jardins sont délicieux, dit-elle, surtout la partie anglaise que la Reine vient de faire arranger. Rien n’y manque : les ruines, les chemins contournés, les nappes d’eau, les cascades, les montagnes, les temples, les statues, enfin tout ce qui peut les rendre variés et très agréables. La partie française est dans le genre de Le Nôtre et des quinconces de Versailles. Au bout se trouve une mignonne salle de spectacle, où la Reine aime à jouer elle-même la comédie avec M. le Comte d’Artois et des amis intimes. » Sauf les « ruines, » qui n’ont jamais existé, la baronne a fort bien vu les curiosités de Trianon et, pour achever de le peindre, son journal déborde d’enthousiasme : « Mon Dieu ! la charmante promenade ! que ces bosquets parfumés de lilas, peuplés de rossignols, étaient délicieux ! Il faisait un temps magnifique ; l’air était plein de vapeurs embaumées ; des papillons étalaient leurs ailes d’or aux rayons de ce soleil printanier. Je n’ai de ma vie passé des momens plus enchanteurs que les trois heures employées à visiter cette retraite. »

Marie-Antoinette avait donc ajouté à Versailles des beautés nouvelles et inattendues, et cet enrichissement du domaine royal, dû à sa fantaisie personnelle autant qu’aux goûts de son époque, procurait déjà aux contemporains les délicats plaisirs que nous y cherchons encore. A cette Reine charmante, l’art français doit bien peu de chose ; si dans la musique elle n’avait soutenu l’œuvre de Gluck, on pourrait passer son rôle sous silence. Mais elle a créé un jardin parfait.


PIERRE DE NOLHAC.