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Cet incident avait glacé le zèle des « ritteleurs. » Dès le premier coup de feu ils cessaient les recherches, et leur hâte maladroite à bourrer leurs bissacs les rendait semblables à des Augustes affolés. En quelques minutes, les silos déjà ouverts étaient vidés, et les bêtes de charge rangées en bon ordre au fond d’un vallon. Puis, les caïds et quelques notables prièrent Merton de donner le signal du départ : « Mais vous n’avez pas fini ? s’écria celui-ci. Vous avez le temps de trouver encore beaucoup de silos. — Oui ! oui ! c’est fini ! clamaient en chœur les autres. Il n’y a plus rien, tu peux en être sûr ! » Et leurs regards se coulaient, furtifs, vers la direction où avaient paru les dissidens. « Ce sont des fièvres, dit Merton qui lisait dans leurs âmes. Aucun d’eux ne souhaite qu’une balle perdue ravisse un père à sa famille et livre son butin à d’ingrats héritiers. Partons, puisqu’ils le veulent. Après tout, la journée a été bonne, et le colonel sera content de ce coup d’essai. — Quelle est donc la valeur du butin d’aujourd’hui ? demanda Pointis. — Environ 100 quintaux d’orge et une vingtaine de blé. »

Tandis qu’ils causaient, à un signal d’Imbert le détachement se repliait pour le retour. Les rôdeurs le suivaient de loin, par petits groupes, et l’on put les voir qui s’arrêtaient sur le mers pour y mesurer l’étendue de leur ruine. Surpris sans doute de ne pas la trouver complète, ils ne voulurent pas tenter le sort et se décidèrent à continuer pour leur compte le « rittelage » inachevé. Pendant la durée du trajet jusqu’au camp, les partisans enfin rassurés se félicitaient de leur bonne fortune, et se concertaient pour vendre le plus cher possible aux Subsistances l’orge gratuite des dissidens.

Les jours qui suivirent, l’opération fut tentée avec un égal succès sur tous les mers des environs. Pointis, que le spectacle divertissait, ne manquait pas d’y assister. Il observait ainsi les indigènes dans les conflits de ruse et de rapacité que faisait naitre la découverte des silos. Il savait ainsi, maintenant, que des réserves immenses de grains dorment, au Maroc, sous la terre qui les protège mieux que des murailles. Il avait vu des hommes asphyxiés par l’odeur méphitique de silos oubliés que le hasard faisait mettre à jour, et que les anciens des tribus attribuaient à des familles depuis longtemps éteintes. Il s’expliquait l’invulnérabilité des rebelles jusqu’à la trahison qui livrait le secret de leurs cachettes ou la retraite de leurs troupeaux. Il comprenait