Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 18.djvu/135

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La figure convulsée, des hommes s’invectivaient avec fureur. C’étaient des chercheurs à qui des concurrens disputaient la possession de leurs découvertes. Les parens, les amis des deux parties les soutenaient de la voix, et les plus fougueux bondissaient déjà vers les fusils suspendus aux selles des chevaux : « Ça va se gâter, souffla Imbert à Pointis, et nous allons voir une mêlée générale. » Mais Merton, par des actes dénués de douceur, s’était frayé un passage et, d’un ton impérieux, exigeait des explications. Comme tous hurlaient à la fois, il eut quelque peine à comprendre. Il y parvint cependant. Il sut alors que le mers n’était pas la propriété exclusive des dissidens. Plusieurs silos appartenaient à des indigènes qui n’avaient pas suivi leur douar dans la rébellion ; eux-mêmes ou leurs amis faisaient valoir des droits dont les heureux chercheurs, jugeant ces réserves trop tardives, contestaient la légitimité : « Ce sont chicaneries arabes, dit Merton à ses amis. Le caïd ou la djemma vont décider. » Il ne doutait pas, d’ailleurs, de la vénalité des jugemens, car il savait que les autorités et les notables, pour s’assurer un avenir exempt de querelles, s’efforçaient parfois de pallier contre salaire la sévérité des représailles. Mais c’était le seul moyen de calmer l’effervescence, et chacun accepta, non sans murmures, les décisions du caïd.

Cependant les bissacs finissaient par se gonfler de grains extraits en toute hâte. Quelques « ritteleurs, » plus avides ou plus braves que les autres, étaient déjà partis avec leurs animaux lourdement chargés. Les recherches continuaient maintenant dans un calme relatif, et le butin s’annonçait copieux. Assis à l’ombre d’un rocher, Imbert et Pointis, lestés du traditionnel repas froid, écoutaient en sommeillant Merton qui leur expliquait l’âme indigène. Soudain, quelques détonations assourdies par la distance les firent se dresser en sursaut. Imbert fouilla de sa lorgnette la ligne de ses postes et constata leur tranquillité. Mais, au loin, des cavaliers rôdaient sur les crêtes où flottaient encore les nuages légers des coups de fusil inoffensifs : « Ce sont les propriétaires qui protestent, dit Merton. Ils attendront notre départ pour venir contempler les dégâts. » Et, vraiment, ils ne paraissaient pas décidés à combattre pour protéger leurs biens. Ils esquissèrent quelques pointes timides afin de tâter la ligne de défense et, la jugeant sans doute trop bien gardée, ils s’évanouirent derrière un coteau.