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le champ mystérieux, tandis que les bêtes, entravées suivant l’usage, s’évertuaient à paître une herbe maigre. Avec une hâte fébrile, les mains fouillaient le sol, cherchaient les places où la terre ameublie était un indice souvent trompeur. Les uns avaient des poignards qui facilitaient la besogne. D’autres maniaient de longues tiges de fer pointues. Plusieurs utilisaient les sondes qu’ils devaient à la prévoyance de leurs parens accourus des douars. Quelques-uns, avec des physionomies graves, étudiaient des alignemens, mesuraient des distances, comme si leurs calculs étaient inspirés par de secrets documens. Pendant une heure environ, une activité cupide les secoua tous sans résultat, et Pointis s’ébahissait de leur ardeur. Mais Imbert qui contemplait lui aussi la scène s’étonnait de la lenteur des recherches et doutait déjà de leur efficacité.

Soudain, un cri de joie retentit. Une sonde avait pénétré sans effort de toute sa longueur dans le sol, dénonçant ainsi la cheminée d’un silo. Poignard en main, l’homme creusait, aidé par quelques amis complaisans. Les mottes volaient, chassées du trou par des doigts agiles. L’excavation, bientôt profonde d’un mètre, laissait enfin à découvert un épais matelas de paille pourrie. Et l’heureux chercheur se reposa un instant, la figure ruisselante, une flamme d’anxiété dans les yeux : « Orge, ou blé ? » lui demanda Merton. L’autre leva l’index vers le ciel pour attester l’omniscience d’Allah. Puis, avec une énergie farouche, il écarta les chaumes d’où montait une odeur nauséabonde, et regarda : « Orgel orge ! » cria-t-il, et il bénit le Seigneur : « Pourquoi donc cette joie ? questionna Pointis qui avait observé le manège. — Hé ! lui répondit Merton, ignorez-vous que l’Administration n’a pas besoin de blé, et que l’orge seule l’intéresse pour la nourriture des animaux ? L’homme est sûr, maintenant, de toucher ce soir beaucoup d’argent, tandis qu’il aurait dû transporter jusque chez lui les 20 ou 30 quintaux de blé que peut contenir un silo. »

Le charme était rompu. Comme si la première cachette découverte donnait un repère indispensable, les trouvailles se succédaient avec rapidité. Mais des protestations coléreuses dominèrent bientôt les cris de joie, et des groupes animés s’agitèrent autour des silos entr’ouverts. Des bras se tendirent avec des gestes de menaces et des mains furieuses secouèrent les sondes comme des épieux. Merton se précipita.