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un poste sur les confins des grandes confédérations Zaïan, Tadla, Zaër, dont les territoires se soudaient non loin de là. était jugée par l’autorité supérieure comme une aventure téméraire. On craignait en effet que le puissant Moha-Ou-Ammou, chef des Zaïan, n’offrît alors son appui aux tribus rebelles. Au cours d’une reconnaissance du pays environnant, une rencontre fortuite qui coûta 11 tués et 29 blessés semblait justifier cette prudence. On voulait éviter l’engrenage, tant que l’horizon politique ne serait pas éclairci dans le Sud.

Une telle sagesse déconcertait Imbert. Malgré les amputations, la colonne comptait 1 500 fusils, 4 canons, 4 mitrailleuses et une centaine de sabres. C’était, assurait-il, une force bien supérieure à toutes celles qui firent, par étapes épiques, la conquête africaine de Dakar au Ouadaï. Il savait que, même en se gênant beaucoup, les dissidens ne pouvaient rassembler plus de 500 fusils. En quelques jours, croyait-il, une campagne brillante établirait l’autorité française jusqu’aux limites extrêmes du pays Zaër. Les cavaliers ennemis qui venaient narguer de loin le bivouac excitaient sa fureur et son dépit, partagés d’ailleurs par de nombreux officiers. Un fougueux « soudanais » avait même déclaré dans un jugement définitif : « C’est une colonne commémorative, celle des Zaër, et le rocher d’Hadjerat-ben-Naceur lui sert de piédestal ! » Pointis, lui, vaguait désemparé à travers le camp, dans l’attente d’un dénouement. Il déplorait l’étourderie qui l’avait lancé en pleine aventure dans un « voyage d’études » qui lui apparaissait sans but et sans fin. Mais il ne pouvait se résoudre au retour immédiat vers la côte, derrière un convoi. Le service des Renseignemens estimait à plusieurs dizaines de milliers le nombre des moutons possédés par les seuls tribus dissidentes ; les sommaires explorations de surface donnaient des indications prometteuses sur la richesse minière du sous-sol. Laines et métaux, lui disait-on, valaient bien que le premier » civil, » qui n’était pas un marchand de goutte, égaré en pays Zaër attendit avec patience le rétablissement de la tranquillité.

Les notables de la colonne l’y invitaient en termes pressans. Et comme Pointis, un soir, faisait de sceptiques réserves, le commandant du cercle, homme aimable et pondéré, lui expliqua : « L’expérience prouve que le stationnement prolongé d’une forte troupe, en un lieu convenablement choisi, a pour