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si nous avions accompli de grandes choses. Tenez, écoutez-les ! Ils ne seraient pas plus fiers si l’engagement d’aujourd’hui était la revanche de Sedan ! »

Sur la piste qui serpentait entre des ondulations légères, la troupe maintenant marchait en colonne de route. Malgré la poussière, la chaleur, la tension nerveuse de la nuit et de la matinée. Sénégalais, marsouins et « joyeux » commentaient avec entrain les incidens du combat. On les sentait si alertes, si riches de bravoure joyeuse, que Pointis se cabra : « Oh ! oh ! vous cultivez toujours le paradoxe, comme au Tonkin. De quoi vous plaignez-vous ? De ce que les Marocains n’ont pas de canons et ne chargent pas à l’arme blanche ? Laissez donc aux politiciens que vous savez la joie de diminuer vos mérites de guerriers. D’ailleurs, ces Marocains dont vous dédaignez la faiblesse possèdent bien des moyens d’action qui vous manquent et qui remplacent en partie ceux qu’ils n’ont pas. Avec la connaissance parfaite du pays où vous marchez en aveugles, ils sont presque tous cavaliers, tandis que vos colonnes se traînent comme des tortues. Ils peuvent vous attaquer où et quand ils veulent, échapper à votre poursuite, harceler vos convois, vous ruiner en détail ! — Oui, dit Imbert, c’est un essaim de moustiques qu’on chasserait avec une massue... » Mais Pointis confessa qu’il avait trop soif pour continuer la discussion.

La chaleur, en effet, augmentait la fatigue sur la piste à laquelle les ondulations du plateau donnaient un profil de montagnes russes. Les arrêts imposés par les à-coups du convoi rendaient l’étape interminable. Soudain l’ascension d’une côte fit découvrir un spectacle réconfortant. Une plaine immense apparaissait, bordée vers le Sud par des montagnes violettes aux contours déchiquetés ; vers l’Ouest, une large trouée entre deux collines la prolongeait jusqu’aux limites de l’horizon ; à l’Est, elle dominait un chaos de pitons chauves, dont les sommets seuls émergeaient, et qui jalonnaient la vallée mystérieuse de l’Oued Grou. Isolé comme une île au milieu d’un lac, un tertre élevé, aux pentes abruptes, dressait auprès d’une source abondante sa silhouette de château fort. Une foule agitée grouillait sur ses lianes, et les petites tentes de la colonne, prestement déployées, commençaient à l’entourer d’un chapelet jaunâtre. Des traces de cultures anciennes, les vestiges de moissons récentes, des pistes enchevêtrées dont la netteté dénonçait une