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d’Afrique arrivait à toute vitesse et faisait connaître que l’éloignement du convoi permettait enfin l’abandon de la position. Le colonel, ajoutait-il, disposait un groupe en arrière pour faciliter « le décrochage » d’Imbert : « Allons, l’instant est solennel ! » goguenarda celui-ci. Pointis, mon ami, suivez la moitié de mon groupe qui va détaler. Je vous rattraperai tout à l’heure. » Cachés par la déclivité du sol, les Sénégalais élargissaient en effet leur front à l’insu de l’ennemi, prenaient la place des marsouins et des mitrailleurs qui filaient vivement vers une ride éloignée de 500 mètres où ils s’installaient prêts à tirer. Les Sénagalais se replièrent alors à leur tour, et quand les Marocains, s’apercevant enfin de la supercherie, se montrèrent sur la crête évacuée, ils furent accueillis par une fusillade nourrie qui arrêta net leur élan. Quoique ralentie par les piétinemens du convoi, dont le millier de botes s’écoulait avec difficulté sur la piste étroite, la marche en échelons, par bonds de grande amplitude, continua dès lors sans incidens. Le « groupe de manœuvre, » avec ses canons, y prenait part avec élégance sur l’autre versant de la vallée. Les Marocains, submergés par une pluie d’obus et de balles qui les maintenait à distance et rendait invulnérables les troupes en mouvement, cessèrent bientôt une poursuite sans espoir.

Pointis, la lorgnette sans cesse aux yeux, avait supputé le nombre de leurs morts et de leurs blessés qu’il voyait emporter couchés en travers sur les selles. Quand le dernier Marocain eut disparu, il donna fièrement à Imbert le résultat de ses observations. Imbert, sans hésiter, le jugea exagéré : « Je ne crois pas, dit-il, aux chiffres imposans qui évaluent, d’habitude, les pertes de nos adversaires. A les totaliser depuis 1908, on trouverait que le Maroc n’a plus d’habitans. Mais, aujourd’hui, je ne m’oppose pas à ce que vous pensiez avec les soldats « qu’ils en ont pris pour leur rhume, » et la légende du « décrochage » doit vous paraître exagérée. » Pointis en convint. « Après tout, continua son ami, nous n’avons pas à nous enorgueillir. Aux colonies, nous combattons un contre quatre ; au Maroc, le rapport est renversé. De plus, nous y avons force canons et mitrailleuses. Je ne pense pas que ce système soit meilleur. Il n’accoutume pas les chefs et la troupe aux vraies difficultés de la guerre. Il rend le succès assuré, mais il n’exerce pas à le mériter. Et cependant, jusqu’aux derniers des soldats, nous plastronnons tous, comme