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heures... » murmura Pointis qui avait consulté sa montre à la clarté de la lune. « Je ne pourrai plus dormir. Que faire jusqu’au jour ?... » Après de courtes réflexions, il conclut qu’il ne devait pas rester à l’abri, tandis que les autres se battaient. Il s’orienta et, s’efforçant d’esquiver les ricochets qui ronflaient sur le sol, il se dirigea rapidement vers la face du bivouac occupée par le groupe d’Imbert.

Des muletiers du train de combat étaient déjà étendus sans vie ; des infirmiers tiraient des cadavres par les pieds, ou portaient avec précaution, en rasant la terre, des brancards où râlaient des blessés. Il lui parut que l’ennemi, favorisé de ce côté par la disposition du terrain, dirigeait sur les tranchées appuyées à des blocs de roches visibles de très loin un feu particulièrement intense. A droite, les Sénégalais roulés en boule attendaient l’ordre de foncer en avant ; seuls, leurs meilleurs tireurs guettaient comme à l’affût, et lâchaient à longs intervalles des coups de fusil sur les lueurs qui révélaient à trois ou quatre cents mètres la présence des assaillans. Au centre, les marsouins, convaincus de l’inutilité de ces ripostes, s’arrangeaient pour reprendre, à l’abri de leurs petits talus, le sommeil interrompu. A gauche, les goumiers moins placides rendaient coup pour coup, injure pour injure. Imbert, que l’alerte avait surpris dans un pyjama blanc, glissait comme un fantôme au long de sa ligne ; il commentait avec insouciance la situation tactique et il expliquait à ses officiers les derniers ordres du colonel.

« Rien à faire jusqu’au jour, dit-il à Pointis qui l’interrogea. La colonne est composée d’élémens trop disparates pour qu’il soit possible de tenter une contre-attaque sérieuse sans risquer des méprises funestes. Songez que nos détachemens se sont vus hier pour la première fois 1 Donc, nous laissons les ennemis brûler en paix leurs cartouches. Dès que nous y verrons assez clair, toutes les faces du bivouac feront une offensive générale pour « donner de l’air » au convoi et faciliter le départ. » Avec la gravité que lui conférait son incompétence, Pointis approuva ce plan. D’ailleurs, à en juger d’après la violence de leur feu, on pouvait espérer que les assaillans épuiseraient vite leurs munitions. Leur imprévoyance garantissait le succès des projets du colonel. Ils semblaient avoir hâte de vider leurs poches à cartouches avant le jour, soit pour faire à temps une retraite sans danger, soit pour terroriser la colonne figée dans une attente