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Monde, en les magnifiant, les pensées d’un « patron » qui, même en pyjama, ne cherchait pas à poser devant l’Histoire.

Le colonel se détourna. Il cessa de contempler le plateau où grouillaient déjà les troupes qui, dans leur impatience du départ, oubliaient les indications précises de l’ordre de mouvement. Une contrariété fugitive crispa son visage tanné en des pays lointains, où la vivacité du regard faisait oublier la neige précoce d’une barbe sans apprêt. Pointis devina le refus poli, mais imminent. Il se hâta de réfuter les objections qu’il eût faites lui-même. « Certes, mon colonel, dit-il, je comprends que mon désir vous paraisse indiscret. Mais je ne suis ni journaliste, ni spéculateur. C’est un voyage d’études autant que d’agrément que je compte faire, à mes risques et périls, en pays zaër. Si vous voulez bien me laisser profiter de la protection de vos troupes, je ne serai pas plus gênant que le dernier des « bouchaïb » de votre convoi. » Le colonel sourit : « Puisque vous acceptez d’avance les risques de l’aventure, j’aurais mauvaise grâce à vous refuser une faveur que j’accorde à des mercantis. Votre ami Imbert s’occupera de vous et vous rendra supportable la vie des camps. » En phrases brèves, Pointis remercia, car il comprenait que l’heure n’était pas propice aux prolixes effusions. Il s’éclipsa prestement pour confier sa petite caravane à la surveillance intéressée d’un marsouin débrouillard, que son emploi de « muletier du train régimentaire » vouait aux étapes sans gloire, mais sans danger des convois. Et, libre de soucis, tandis qu’Imbert s’éloignait vers sa troupe figée dans l’attente, il chercha un bon poste d’observation pour contempler le défilé.

Aux abords du point initial, une foule tourbillonnait. C’étaient les partisans. Ralliés de la première ou de la onzième heure, ils étaient accourus comme des mouches vers l’appât des pillages prochains. La masse de leurs burnous sombres dominait les selles hautes, dont les innombrables tapis rouges ou bariolés chatoyaient au soleil. Juchés sur leurs chevaux dodus au poil luisant, sur leurs biques sans âge aux côtes saillantes, ils dressaient en des attitudes fières leurs fusils plus redoutables pour nos troupes que pour les dissidens. Embellies avec amour par des ornemens de cuivre ou d’argent grossièrement ciselés, le parfait entretien des armes dont les types allaient du Lee-Metford à 16 coups jusqu’au modeste Gras, les révélait comme