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comme des collaborateurs naturels à une même œuvre de justice et de salut social.

Si l’on trouve, dans l’œuvre d’Anatole Leroy-Beaulieu, des traces d’idéologie, il faut, en revanche, admirer, dans sa vie, une magnifique et féconde activité. Une âme d’apôtre vivait en lui, si c’est être apôtre que de n’écrire et de ne parler que pour communiquer aux autres une pensée toujours élevée, toujours généreuse. Son grand apostolat fut son enseignement à l’Ecole libre des Sciences politiques. Comme professeur d’abord, comme directeur plus tard, il se sentait chez lui dans cette maison de Boutmy, de Taine, de Sorel, de Vandal ; il y trouvait un milieu d’idées sympathiques aux siennes, une même passion désintéressée de bien servir la patrie en lui préparant, au dedans, des citoyens éclairés, des fonctionnaires, des hommes d’Etat capables de travailler pour le bien public et de refaire une France forte ; au dehors, des amis impartiaux qui sachent rendre justice à notre pays si jalousé, si calomnié. Anatole Leroy-Beaulieu était surtout professeur ; il avait la vocation de l’enseignement, car enseigner, c’est se donner, établir entre ses auditeurs et soi une communion de pensées ; il aimait sa chaire autour de laquelle se pressaient des élèves venus de tous les pays du monde ; il a fait ainsi, par sa parole, passer un peu de sa grande âme généreuse dans les réalités politiques de son temps. C’était une joie pour lui, quand il lui arrivait, — et c’était fréquent, — dans quelque ville lointaine, d’être reconnu et salué au passage d’un « mon cher maître, » par quelqu’un de ces anciens élèves qu’il avait essaimes dans toute l’Europe. Nombreux sont aujourd’hui les hommes d’Etat, les parlementaires, les diplomates européens qui s’honorent d’avoir été ses disciples. On connaissait, à l’étranger, la droiture et la loyauté de son esprit, la haute impartialité qui faisait de lui l’un des rares hommes qui fussent pleinement capables d’apprécier et de proclamer les mérites de chaque peuple ; aussi était-il presque plus populaire au dehors que dans son propre pays. On ne savait pas assez, en France, quel prestige auréolait sa personnalité hors de nos frontières, ni que l’autorité de son nom était, pour notre patrie, un honneur et une force. Il le savait, lui, et c’était la joie de sa vie, car il était ardemment, profondément patriote, bien qu’avec discernement et sans ostentation. Il était de ceux qui se refusent à danser sur le « tréteau banal. » Nullement