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s’arranger entre eux comme ils l’entendraient. Où est la vérité entre ces reproches contradictoires ? Si l’Europe avait été unie, si les grandes Puissances qui la composent, également désintéressées dans les Balkans, également éloignées du champ clos où l’intrigue et la lutte étaient engagées, également dégagées de toute préoccupation personnelle, avaient pu se mettre d’accord sur la politique à suivre, oh ! alors, la situation aurait été aussi facile que simple. Mais pouvait-on l’espérer, et, pour trancher le mot, n’y aurait-il pas eu quelque absurdité à croire que l’Autriche et la Russie, par exemple, pourraient suivre le développement de la poUtique balkanique avec le même désintéressement, nous allions dire le même détachement, que telles autres Puissances, ne se préoccuper que des intérêts généraux et envisager les choses avec la philosophie de cet habitant de Sirius dont on a tant parlé depuis Renan ? Pour l’Autriche, les questions les plus graves se trouvaient posées, des questions qui importaient à son existence même. Pour la Russie, toute sa politique traditionnelle était en jeu et pesait sur sa politique présente. Cela est si vrai qu’on a pu craindre par momens, et cette crainte n’avait rien de chimérique, qu’une, puis deux grandes Puissances n’entrassent en conllit ; et alors, quelle aurait été l’attitude des autres ? La paix du monde aurait été compromise. Si la Conférence des ambassadeurs a cru qu’il y avait là un intérêt supérieur, auquel il fallait faire certains sacrifices, qu’elle savait bien être des sacrifices, ce n’est pas nous qui le lui reprocherons. On a dit autrefois : — Qu’est-ce que le droit en Orient ? C’est les convenances de l’Europe. — On n’oserait pas répéter ce mot aujourd’hui, et nous serions les premiers à le condamner comme trop étroit, et trop égoïste, car si l’Europe a ses convenances, les États balkaniques, arrivés à la vie nationale, ont les leurs ; mais, si le droit de l’Europe ne supprime pas celui des Balkans, le droit des Balkans ne supprime pas celui de l’Europe, qui a droit à la paix et, par conséquent, aux conditions de la paix. Qu’a fait la Conférence des ambassadeurs ? Elle a d’abord assuré la paix générale ; puis, bien loin d’imposer ses volontés aux États balkaniques, elle leur a laissé la plus grande liberté possible pour régler entre eux la distribution des territoires conquis. Est-ce sa faute si l’un de ces États était de mauvaise foi dans ce règlement qu’il avait paru accepter comme les autres et s’il s’est jeté sur eux pour les dépouiller ? Est-ce sa faute s’il a été battu à plate couture ? Est-ce sa faute si, pendant qu’il se faisait écraser par ses alliés de la veille, ce même État se voyait arracher par la Porte une partie de ses