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ESQUISSES MAROCAINES.

strident s’étend solitaire dans la campagne. Il n’est pas comme la cloche de nos angélus, mêlé aux sonneries d’usines et d’ateliers. A midi, si vous remontez nonchalamment la petite rue ombreuse sur laquelle s’ouvre l’ogive de la mosquée, vous verrez les citadins lourds et lents dans les épaisseurs des burnous, les pieds pesans, se. diriger vers le lieu de prière. Les marchands de cuivres ciselés, les tisserands se sont levés de leurs échoppes ; ils s’étirent, ajustent leurs ceintures où s’alignent les douros et montent aussi à la mosquée. Le vendeur d’eau, sur le souk, en train de vider sa peau de bouc dans les gobelets de cuivre, demeure en suspens. Le charmeur de serpens, la bouche ouverte, les yeux renversés, penché sur la bête sifflante qui se tient dressée et le défie de ses yeux de diamant invincible, de sa langue aiguë et rouge comme une aiguille de feu, se reprend et sur le combat magnétique passe la voix de la prière. Tous les spectateurs rangés en cercle sentent l’autorité de l’ordre souverain : priez. Et dans la petite ville arabe les heures et les prières s’enchaînent liées dans un rythme monastique. Comment prie-t-on ? Passez devant la mosquée et jetez-y par l’ouverture de l’ogive un rapide regard. Vous apercevez une grande cour cachée inondée de clarté. Dans l’ombre des rues étroites, enchevêtrées comme les détours d’un labyrinthe, le rectangle découvert fait une région réservée, plus blanche, plus régulière, où la lumière d’en haut descend comme une révélation. Vous entendez un bruissement frais de fontaine. Sur les dalles de marbre, les fidèles, tantôt debout et tantôt prosternés, récitent les formules rituelles, ou bien, assis sur le sol, les pieds déchaussés, les genoux croisés, ils délectent leurs yeux des versets du Coran inscrits au pourtour des pilastres. Pas de femmes, pas d’enfans. C’est le culte viril. L’homme seul s’approche de son Créateur, de son Prophète, et vient un moment faire respirer son âme.

Et le laboureur, le pâtre, le pêcheur, celui que son travail tient de l’aube à la nuit loin du lieu de prière, la voix du muezzin s’il peut l’entendre, la place du soleil s’il ne l’entend pas, rompt seul pour lui l’écoulement des heures. Si, un jour d’insomnie, l’été, vous regardez la flamboyante aurore, vous verrez le chamelier déjà en route sur les grandes pistes de sable, menant de son pas patient les grandes bêtes somnolentes. Le premier rayon doré qui filtre dans l’aube blanche l’arrête. Il se tourne soudain vers le soleil levant, et les bras grands