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de nos navires pour leur interdire toute manifestation religieuse le vendredi saint et cette circulaire a été rapportée par M. Baudin. La règle qu’elle inaugurait semblait découler des nouveaux principes que le gouvernement de la République était en voie d’adopter sans toutefois qu’il l’eût encore fait défmitivement. M. Waldeck-Rousseau n’était pas partisan de la séparation de l’Église et de l’État ; ce n’est pas sous son ministère qu’elle a été votée ; mais il a, comme on sait, précipité un torrent qu’il n’a pas eu ensuite la force d’arrêter. Quoi qu’il en soit, en vertu de la circulaire de M. de Lanessan, nos navires en Orient ont cessé de s’associer le vendredi saint aux manifestations extérieures que faisaient tous les autres, quelles que fussent leur nationalité et la religion dominante dans leur pays. Les inconvéniens n’ont pas tardé à se produire : ils ont été signalés au ministère de la Marine par nos officiers, au ministère des Affaires étrangères par nos agens politiques et consulaires, et les deux ministères s’en sont émus.

On ne saurait empêcher qu’en Orient la nationalité se confonde avec la religion : aussi tous nos cliens catholiques ont-ils cru qu’en renonçant à nos vieux rites, nous renoncions à eux, aux intérêts qu’ils représentent, à la protection que nous leur accordons depuis des siècles et que d’autres, qui nous jalousent et nous surveillent, sont tout prêts à leur assurer à notre place. Notre abstention, sur plus d’un point, a produit le plus déplorable effet : le crédit de la France en a été diminué. M. Clemenceau, il faut bien le croire, ne s’arrête pas à ces considérations ; il est de la race de ceux qui disaient jadis : Périssent les colonies plutôt qu’un principe ! Sa colère n’a pas de bornes lorsqu’il songe qu’un navire de la République peut s’associer à une démonstration religieuse. Mais pourquoi s’arréte-t-il là ? Il aura beaucoup à faire, beaucoup à réformer s’il veut extirper partout le mal qui le choque si fort un seul jour de l’année, le vendredi saint, et seulement sur nos navires. Ignore-t-il, lui qui a été au gouvernement, qu’en Orient et en Extrême-Orient, les agens de la France ont une place d’honneur qui leur est réservée à l’église, avant celle de tous les autres, et que dans certaines fêtes ils ne manquent pas d’aller l’occuper en grande cérémonie ? Quelle entorse donnée au principe de la séparation de l’Église et de l’État ! Oui, monsieur Clemenceau, cela se fait couramment, et il faut croire que vous n’en avez rien su, puisque vous n’avez jamais protesté. Les journaux ont pourtant raconté que, tout récemment encore, à Pékin, une messe solennelle avait été dite pour appeler la bénédiction du ciel sur le parlement chinois et sur l’élection du président de la nouvelle répu-