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la pierre aux Jeunes-Turcs, et non sans raison. Qui aurait pu prévoir le coup de folie du gouvernement de Sofia et les conséquences qu’il a eues ? Aujourd’hui que les Jeunes-Turcs sont enflés de leurs succès, on serait mal venu à leur demander de ne pas profiter de ce retour de fortune. L’Europe a bien essayé de le faire, mais sans conviction. Elle devait cette démarche à la Bulgarie, mais elle croyait peu à son succès. Finalement, les Bulgares ont dû ne s’en remettre qu’à eux-mêmes du soin de négocier avec la Porte. Ils avaient été implacables dans la victoire ; les Turcs ont été implacables à leur tour. Juste retour des choses d’ici-bas, dirions-nous, si, malgré tout, les Bulgares ne restaient pas dignes d’intérêt par l’immensité de leur effort et par les services qu’ils ont rendus à la cause balkanique avant de la trahir. Sans eux, la Macédoine et l’Épire seraient encore sous le Joug pesant de la Turquie.

Celle-ci a reconquis la Thrace et semble avoir abandonné le reste : elle ne peut pas sérieusement songer à reprendre à la Serbie et à la Grèce les territoires qu’elles occupent. Nous ne voulons pas dire par là qu’elle y renonce pour l’avenir, car les peuples ne renoncent à rien et il faut convenir que le train dont va le monde, surtout en Orient, est de nature à ne décourager aucune espérance ; mais, pour le moment c’est déjà beaucoup d’avoir repris la Thrace sans coup férir, et le malheur de la Bulgarie a montré qu’à abuser de sa chance, on risque de la perdre tout entière. Son traité avec la Bulgarie assure à la Porte non seulement Kirk-Kihssé, non seulement la rive gauche de laMaritza, mais encore Démotika sur la rive droite, avec un territoire étendu autour de la ville. C’est le côté le plus critiquable du traité, parce qu’un pareil sacrifice, imposé à la Bulgarie, entretiendra et avivera chez elle d’impatiens désirs de revanche. Le port qui lui est concédé sur la mer Egée est Dédéagatch : le chemin de fer qui y conduit passe précisément par ce territoire de Démotika que la Porte détient, ce qui obhgera les Bulgares à en construire un autre, plus à l’Ouest, à travers un pays montagneux, avec un allongement de parcours regrettable. Mais la Porte, sentant les ambitions qui l’entourent, songe avant tout à se constituer une bonne frontière niilitaire et on ne peut pas dire qu’elle ait tort.

En somme, après un effondrement qui la livrait sans défense à des vainqueurs sans pitié, elle se tire de cette guerre à peu près comme, à l’origine, on avait prévu qu’elle le ferait. Même si elle avait été victorieuse, et à moins qu’elle ne l’eût été dans des proportions écrasantes, de nombreux précédens avaient établi qu’elle devrait