dans les plates-bandes du « jardin des zouaves, » mais l’infirmerie indigène était toujours aussi misérable, la « case du Génie » aussi miteuse, l’horizon aussi désert.
Les beuglemens saccadés de la trompe d’auto, qui stimulaient les retardataires, arrachèrent Pointis à ses réflexions. Trois voyageurs, déjà, se calaient sur les coussins, s’entouraient de couvertures, bourraient à forcement les espaces vides, et leur physionomie s’éclaira quand ils eurent la conviction de se trouver « au complet. » Pointis, de loin, avait déjà reconnu l’un d’eux pour avoir fraternisé, certain soir de fête, au « Moulin de la Gaîté. » Il se félicita poliment de la rencontre, et s’informa des causes d’une sociabilité qui contrastait avec les ruses coutumières des voyageurs en chemin de fer : « Vous n’avez donc jamais fait en auto le trajet de Rabat ? lui demanda l’un de ses compagnons de route, empaqueté comme un objet fragile et précieux. — Non ; pourquoi ? — Parce que vous n’auriez qu’à chercher la réponse dans vos souvenirs. A quatre, on s’étaie mutuellement, et l’on affronte sans trop de peine les secousses du chemin. Quand il y a des places vacantes, on est projeté dans tous les sens, comme une balle de tennis, et l’on arrive fourbu, meurtri, avec des bleus sur tout le corps. »
Dès les premiers tours de roue, Pointis n’avait plus besoin d’explication. Bondissant sur les palmiers nains, plongeant dans les ornières, crissant dans le sable où elle s’enlizait, la voiture allait par saccades brusques, rappelant les attractions affolantes d’un Luna-Park ou d’un Magic-City : « C’est une honte ! hurla soudain le voisin de Pointis, qui luttait avec l’énergie du désespoir contre les symptômes du mal de mer. Voilà plus d’un an que circulent des milliers d’hommes, des milliers de tonnes entre Casablanca et Rabat, et c’est tout ce qu’on nous offre encore comme route ! J’en parlerai au Résident général ! En Amérique, monsieur... » Mais une nausée imminente arrêta la comparaison. D’ailleurs, Pointis l’avait maintes fois entendue sous d’autres cieux, et son attention s’était fixée sur la phrase qui la précédait. Ainsi, déjà, au Maroc, des hommes hargneux, importans et affairés, allaient vers Rabat comme en pèlerinage, pour y faire entendre leurs doléances au Résident général, pour tenter au profit de leurs théories ou de leur avidité le chantage de leur audace ou de leurs relations ! Ils allaient vers l’autorité suprême comme vers le tout-puissant manitou, dispensateur