Mais, dans le train, son enthousiasme tomba. La course lente des wagons, qui bondissaient péniblement sur la voie de 0m, 60, derrière une locomotive essoufflée, lui donna jusqu’à Bou-Znika le temps de méditer. Le « chemin de fer stratégique, » dont il profitait par faveur spéciale, lui apparut comme le symbole d’une mainmise précaire et contestée de la France sur le Maroc. Il considéra que le Génie militaire, gêné par les circonstances, avait employé quinze mois à poser 48 kilomètres de rail Decauville en terrain horizontal, sans autres ouvrages d’art que trois ou quatre ponts sur pilotis. Il regretta ses chevauchées si pittoresques, sur la piste sablonneuse qui dessinait alors un ourlet grisâtre au tapis de fleurs dont le mois d’avril couvrait le Maroc. La tête à la portière, il reconnaissait les palmiers ébouriffés, les figuiers massifs, les koubas ruinées qui ponctuaient ses souvenirs. Des Arabes gouailleurs le narguaient au passage en luttant de vitesse avec le train dont les ferrailles gémissaient. Et ce joujou d’enfant, qui semblait perdu dans l’immensité des moissons mûres, lui donna soudain la nostalgie des courses folles en automobile, du glissement berceur des grands express européens. Pour s’égayer, il songea aux comparaisons que Moulay-Hafid avait dû faire en France, entre le Paris-Côte d’Azur et la roulotte à vapeur qui lui fit connaître les saines émotions d’un déraillement.
A Bou-Znika, terminus provisoire de la ligne, il sauta vivement de sa cage surchauffée. En s’acheminant vers l’automobile qu’un loueur entreprenant de Rabat mettait à la disposition des voyageurs pressés, il s’étonna de retrouver, presque sans changemens, un paysage connu. Il avait observé, en d’autres contrées, les transformations à vue opérées par le rail. Il s’était imaginé un Bou-Znika mué en ville à l’américaine, hérissé de constructions hâtives, bourdonnant d’une fébrile activité. Mais les amas de matériel du chemin de fer, les poteaux indicateurs de propriétés incultes et vastes, seuls, accusaient une prévoyance méticuleuse et bien ordonnée. Quelques soldats s’agitaient autour du train figé, simulant sans hâte des besognes d’hommes d’équipe fatigués et dolens. Dans les mêmes baraques en bois, les mêmes gargotiers semblaient considérer les rares cliens comme les ennemis de leurs repos. Les murs de la kasbah montraient les mêmes blessures, que le temps avait envenimées. Des géraniums avaient remplacé les fonds de bouteilles