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et prochaine. Faut-il rappeler que sir Edward Grey a déclaré avec force que, si une seule lie restait entre les mains d’une grande Puissance, il en résulterait de très graves difficultés ? Faut-il rappeler aussi qu’il s’est demandé ce que serait la situation, si la Porte prolongeait indéfiniment la présence de quelques-uns de ses soldats en Libye ? Que d’autres prolongations peuvent encore allonger celle-là 1 Nous n’ajouterons qu’un mot : comme il est indubitable que, sous le couvert de l’ « intérêt général de l’Europe, » chacun songera à son intérêt particulier, nous espérons que la France ne négligera pas le sien et qu’elle renoncera une fois pour toutes à la sotte habitude de poursuivre la satisfaction de ses préférences sentimentales. Elle serait la seule à pratiquer ce vieux jeu- : assurément ni la Grèce, ni l’Italie ne lui en donnent l’exemple, l’une en se tournant vers Berlin, et l’autre dans tous les sens.

L’Italie, dans ces derniers mois, s’est particulièrement tournée du côté de l’Autriche : on connaît ses vrais sentimens pour son alliée, mais l’intérêt doit passer avant tout, et l’intérêt des deux Puissances est pour le moment le même sur les côtes de l’Adriatique, comme celui de l’Autriche et de la Prusse était autrefois le même quand M. de Bismarck a emmanché l’affaire des Duchés. Si l’Albanie réussit, dure, se montre viable, elle sera un champ clos où les influences italienne et autrichienne prendront pied pour s’exercer sur les Balkans, soit de concert, soit l’une contre l’autre, suivant l’occurrence ; et si décidément l’Albanie mort-née ne peut pas être rappelée à la vie, ce sera une proie à se partager. Dans les deux hypothèses, il importe qu’elle soit aussi grande que possible, d’autant plus que sa grandeur territoriale ne peut être faite qu’aux dépens de la Serbie, que l’Autriche a pris systématiquement à tâche de diminuer, et de la Grèce, que l’Italie se propose d’empêcher de grandir, aussi bien sur terre que sur mer. L’Europe s’est crue obligée d’accepter cette politique pour échapper au danger d’une guerre générale immédiate, mais cela ne signifie pas qu’elle en ait été émerveillée, ni qu’elle la regarde comme une de ces hautes conceptions qui ont fait autrefois la gloire d’un Richelieu ou d’un Talleyrand : elle y a donné son consentement comme à un pis-aller très empirique, non pas son approbation, ni encore moins son admiration comme à un chef-d’œuvre de l’art. Qu’il y ait là, pour l’avenir, beaucoup de conflits en perspective, on n’en saurait douter ; mais qui regarde au delà de l’horizon le plus prochain ? Nous vivons au jour le jour, et c’est peut-être le plus sage, puisque, si nous voulions résoudre tout de suite toutes les questions au nom de la logique,