« neuvième, » ou dans la Messe en ré, Beethoven apparaît ici comme un grand serviteur du verbe. Il unit les notes aux mots par des liens que les divers traducteurs de son œuvre, l’un après l’autre, semblent avoir pris à tâche de rompre ou, tout au moins, de relâcher. « O welche Lust ! Oh ! Quel air, quel air ! » Ce sont les premiers mots du chœur des prisonniers, et ce sont les mots nécessaires, les seuls qui s’accordent exactement avec la musique : d’abord avec les harmonies étagées, et comme par degrés entr’ouvertes, puis avec le motif ou le trait instrumental qui, semblable, ou du moins analogue à l’air lui-même, circule et se répand. Les exemples abondent, à chaque page, de ce qu’on appellerait volontiers, après la « vocalité, » et d’un second barbarisme, la « verbalité » de l’art beethovenien. Rocco vient d’annoncer à Léonore qu’elle pourra l’accompagner dans le cachot du prisonnier aujourd’hui même. « Aujourd’hui même ! » en allemand : « Noch heute ! » s’écrie aussitôt la jeune femme. Mais qu’elle s’écrie en français : « Mon père ! » c’en est aussitôt fait de la beauté verbale, dramatique, et presque de la beauté musicale de son exclamation. L’influence des mots ! L’orchestre, la symphonie même de Beethoven, s’y montre, comme le chant, merveilleusement sensible. Au cours de ce torrent de joie qu’est le duo d’amour des deux époux dans les bras l’un de l’autre, il n’y a que deux momens de répit, chacun d’une ou deux mesures à peine. La première fois, c’est le mouvement qui se ralentit, puis s’arrête ; la seconde, c’est le mode qui cède, c’est le majeur abaissé, fondu en mineur. Et pourquoi, ou plutôt sur quoi ? Sur un mot qui change, sur le nom de la « douleur » passée, mais qui revient, furtive, au milieu même de la présente, de l’enivrante joie.
Il y a plus, et le Beethoven de Fidelio n’a pas craint de mêler à sa musique la parole toute seule et comme nue. Distinction des genres, de la prose et des vers, de l’œuvre dramatique entièrement parlée, ou chantée tout entière ; unité, comme disait l’autre, de la convention ou de l’hypothèse une fois adoptée et suivant laquelle on s’engage à mentir, les Beethoven, ou les Shakspeare, s’embarrassent assez peu de tout cela. La musique de Fidelio, même sublime, souffre sans honte le voisinage du dialogue, et du plus modeste, du plus ordinaire. Que dis-je ! en certaine page, célèbre, elle en reçoit, elle en tire un éclat nouveau. Nous songeons à la scène du second acte où Léonore et Rocco pénètrent dans la prison, échangeant tout bas des propos que des répliques d’orchestre soulignent, interrompent et commentent. L’épisode passe à juste titre pour un exemplaire, admirable, du genre appelé « mélodrame. » Ce genre est., en vérité, « renouvelé des Grecs. »