Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 17.djvu/244

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mac Mahon, obligé, malgré lui, d’aller s’engloutir avec la dernière armée de la France dans le gouffre de Sedan. Les fautes militaires qui ont alors été commises, multipliées, accumulées, on a reproché quelquefois à M. Emile Ollivier de les avoir mises trop en relief : nous y trouvons au contraire, à travers la tristesse qui s’en dégage pour nous, quelque chose de réconfortant, puisqu’il en ressort que nous n’étions pas vaincus d’avance, que, malgré tant d’erreurs, nous avons failli à diverses reprises ramener la victoire à nos drapeaux et qu’il aurait fallu, tel ou tel jour, peu de chose pour que les destins fussent changés. Et cela n’est pas fait pour encourager nos adversaires d’alors à recommencer. Quanta nous, nous avions une admirable armée en 1870 : ce qui lui a manqué, à un degré à peine vraisemblable, c’est le commandement. La leçon a été trop sévère pour que nous n’en profitions pas.

Mais nous nous laissons entraîner à parler de l’homme politique dans M. Ollivier, alors que nous aurions voulu parler de l’homme seul. Il était impossible de le connaître sans éprouver pour lui une sympathie profonde. Il était simple et bon. Indifférent à beaucoup de choses contingentes qui en retiennent tant d’autres dans des régions médiocres, sa pensée s’élevait toujours très haut comme par son jet naturel, celui de l’orateur peut-être, car personne ne l’a été plus que lui. Son instruction était immense et portait sur les sujets let plus divers. Les choses de l’art le passionnaient. Aucune conversation n’était plus nourrie que la sienne. Quant à sa puissance de travail, on a pu en mesurer ici l’intensité : cependant on ne la connaîtrait pas tout entière si on ne savait pas qu’il était devenu presque aveugle et que, depuis plusieurs années, il en était réduit à dicter. Il a trouvé heureusement dans son entourage immédiat des dévouemens incomparables et inlassables, qui lui ont permis d’aller jusqu’au bout sans défaillance. Les mains pieuses qui lui ont fermé les yeux ont tenu pour lui la plume tombée des siennes. Grâce à elles, il a échappé aux prises les plus cruelles de la vieillesse et de l’infirmité. La mort seule a pu l’abattre et elle l’a emporté d’un seul coup tout entier.


FRANCIS CHARMES.


Le Directeur-Gérant,

FRANCIS CHARMES.