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par amour de la Russie ; mais les autres ? Le moyen risque de faire presque autant de mal à ceux qui l’emploieront qu’à ceux contre qui on le tournera : il faut donc avoir, pour en user, des motifs très sérieux que tous n’ont pas. Cela étant, la seule solution pratique serait une entente directe entre la Bulgarie et la Porte. On comprend qu’elle coûte à la Bulgarie. — Ce n’est pas à nous, dit-elle, qu’il appartient d’agir auprès de la Porte ; c’est à l’Europe qui a fait le traité de Londres et qui doit tenir à honneur de ne pas le laisser mettre en pièces. — Mais, d’abord, ce n’est pas l’Europe qui a fait le traité de Londres ; elle a aidé seulement à sa préparation et il s’est conclu sous ses auspices ; il n’en résulte pour elle aucune obligation stricte. Enfin, tous les traités sont l’expression des circonstances à un moment donné. Le moment passe, les circonstances changent, et il faut bien dire que, dans le cas actuel, si les circonstances ont changé, la responsabilité en est à la seule Bulgarie. L’avenir reste ouvert devant elle et nous sommes convaincu qu’elle se relèvera de sa chute ; le sort qui l’accable aujourd’hui ne l’accablera pas toujours ; il y a en elle des ressources d’énergie qui ne sont pas épuisées ou qui se renouvelleront. Mais il faut prendre le moment présent tel qu’il est et en tirer le parti le moins mauvais possible. Le roi Ferdinand a un esprit politique trop délié, trop développé, trop exercé pour ne pas manœuvrer dans la tourmente et rendre un nouveau service à son peuple auquel il en a déjà tant rendu : ce service est d’accepter l’inévitable et de préparer les réparations.

M. Pichon, dans son discours de Lons-le-Saulnier, s’est défendu d’avoir fait une politique de sentiment : il a reconnu toutefois que le sentiment se mêlait à tout et que le plus froid réalisme ne pouvait pas en faire complètement abstraction. Les grandes nations comme la Russie, la France, l’Angleterre, ont des traditions qui sont aussi des forces et on ne doit pas s’attendre à ce qu’elles y renoncent à moins d’y être forcées par une obligation impérieuse et un devoir absolu. L’intérêt de l’État est d’ailleurs la première règle de la politique internationale, ni M. Pichon, ni M. Sasonof, ni Sir Edward Grey ne l’ont méconnue, et c’est pourquoi leur politique, constamment orientée dans le sens de la paix, a si efficacement contribué à en assurer le bienfait à l’Europe. Il serait très injuste de dire que d’autres nations et d’autres gouvernemens n’y ont pas contribué, eux aussi, d’une manière très efficace ; mais la Triple Entente ne s’est laissée dépasser par personne dans cette œuvre, dont le succès importait si fort au progrès de la civilisation, à la reprise des affaires qui ont beaucoup souffert des