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Les solutions acquises n’ont satisfait complètement ni la Serbie, ni la Grèce et elles ont désespéré la Bulgarie. Il ne faut sans doute pas prendre au pied de la lettre, c’est-à-dire au tragique, les proclamations que le roi Ferdinand a adressées à son armée. Elles sont d’une belle allure romantique, expriment sans réticences l’indignation et la colère et ne parlent que de revanche et de vengeance. Ce langage donne satisfaction à ses sujets : aurait-il pu en tenir un autre ? Laissons les mots pour nous attacher aux choses : il est certain que les Bulgares, s’ils ont commis une grande faute, en ont été sévèrement punis, est que l’idée d’une réparation ultérieure reste profondément ancrée dans leur esprit. Il sera sage, de la part de la presse, de ne pas pousser ce sentiment au paroxysme. Nous aimons particulièrement, dans le discours si sensé que sir-Edward Grey a prononcé à la Chambre des Communes, le passage où, après avoir parlé des horreurs qui ont accompagné la seconde guerre balkanique, il a dit : « Tous les États mêlés à cette guerre semblent avoir foulé aux pieds les traités, les accords, les alliances, et s’être efforcé de tirer parti de la situation pour leur propre avantage. Il n’est pas de l’intérêt de la Grande Bretagne, et il ne serait pas non plus équitable, de nommer un quelconque de ces États pour le signaler à la vindicte publique. » Aujourd’hui la paix est faite : nous ne la croyons pas éternelle, mais si on veut en jouir quelque temps, il faut renoncer aux récriminations rétrospectives. L’histoire se fera un jour sur tous ces faits ; la politique doit en oublier quelques-uns.

Revenons au discours de sir Edward Grey. Au moment où le Parlement allait lui aussi entrer en vacances, sir Edward a tenu à faire, et a fait effectivement, un tableau exact et à peu près complet de la situation actuelle : il n’y manque aucun trait essentiel. Sir Edward a parlé en toute bonne foi de l’œuvre accomplie par la diplomatie européenne, œuvre qu’on a beaucoup dénigrée, la critique étant toujours aisée, mais qui a eu le grand mérite de localiser la guerre. « Essayer davantage, a dit sir Edward Grey, eut été mettre le concert en danger. Il est facile de vanter les forces des grandes puissances et de démontrer comment elles auraient pu faire respecter leurs volontés, si elles l’avaient voulu. Naturellement, elles auraient pu avoir recours à une démonstration navale, à supposer, toutefois, que ce genre de démonstration puisse servir à quelque chose ; mais, pour intervenir efficacement, elles auraient été obligées d’employer des troupes, ces troupes auraient dû débarquer, se mettre en marche, tirer des coups de fusil et s’exposer à en recevoir. On fait ces choses-là dans des querelles