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il n’existe pas de frontières : « L’on veut faire de vous des machines à tuer : révoltez-vous. Et que tremblent enfin ceux qui osent vous armer contre vos frères. Car votre ennemi, c’est celui qui vous exploite, vous opprime, vous commande et vous trompe. » Nous voilà loin du syndicalisme légal et de la défense des intérêts corporatifs. Le Manuel du Soldat, catéchisme confédéral, atteint les limites extrêmes de la doctrine anarchiste. Ce n’est plus la société seule qui est visée. C’est la patrie et ses garanties nécessaires.

La doctrine ainsi ramassée va être constamment développée en concert étroit avec les groupemens anarchistes. Au Congrès de Bourges de 1904, M. Yvetot annonce, en la recommandant, la création d’une association des travailleurs antimilitaristes. Or cette association, c’est à un congrès anarchiste (juin 1904) qu’elle a pris naissance, — on n’a donc point de peine à établir le lien de filiation précisé du reste par les noms des signataires, dont 17 sur 31 sont des membres en vue de la C. G. T., voisinant avec les plus notoires des anarchistes. Le premier appel est signé : « Les secrétaires Miguel Almereyda ; G. Yvetot. » Le 27 avril 1907, c’est l’Union des Syndicats de la Seine qui affirme dans une circulaire sa solidarité avec l’Association antimilitariste par un nouvel appel : « Crosse en l’air et rompez les rangs ! » À chaque départ de la classe, elle lance une proclamation qui se termine par ce mot : « Désertez ! »

La C. G. T., dès lors, est franchement entraînée dans l’antimilitarisme intégral. Il ne s’agit plus pour elle de réprouver l’emploi des soldats dans les grèves. Elle s’en prend, — le Manuel du Soldat suffit à l’établir, — à la défense nationale et à la patrie. Dès 1905, la Bourse du travail de Bourges a envoyé à tous les syndicats de France le questionnaire suivant : « À la déclaration de guerre répondrez-vous par la grève générale révolutionnaire ? Nous comptons sur une réponse affirmative unanime. »

Au Congrès d’Amiens, en octobre 1906, M. Yvetot fait adopter la motion suivante : « Le Congrès affirme que la propagande antimilitariste doit devenir toujours plus intense et toujours plus audacieuse. » Au Congrès de Marseille d’octobre 1908, l’ordre du jour voté par 681 voix contre 421 porte : « Le congrès déclare qu’il faut faire l’instruction des travailleurs, afin qu’en cas de guerre, les travailleurs répondent à la déclaration de guerre par une déclaration d& grève générale révolutionnaire. »