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sans rapport avec la réalité. Le budget est, ou du moins il doit être, une prévision de toutes nos dépenses pour une année avec l’établissement de recettes correspondantes et adéquates. C’est le vieux jeu. Le budget ne se fait plus ainsi ; il est toujours dans le devenir ; il évolue en cours d’exercice, au hasard des circonstances. Les crédits extraordinaires pourvoient à cette improvisation. Il est possible, comme M. Ribot le croit, que les méthodes anciennes ne correspondent plus aux nécessités présentes et qu’il y ait des réformes à apporter à la manière dont nos budgets sont établis ; qu’on les fasse donc mais qu’on ne reste pas dans l’état indéterminé où nous sommes. Les critiques de M. Ribot ont porté encore sur d’autres points dont l’importance n’est pas moindre. Nous avons déjà fait allusion aux nouvelles conceptions fiscales qui se font jour à la Chambre des Députés. La loi militaire, a-t-on dit, doit être l’objet d’un impôt spécial qui y restera affecté, et cet impôt sera payé exclusivement par les riches. C’est contre quoi M. Ribot a protesté avec autant d’énergie que d’éloquence. L’affectation de certaines recettes à certaines dépenses est une hérésie financière qui détruirait l’unité du budget. Sans doute les dépenses sont distinctes les unes les autres et les recettes proviennent aussi de sources distinctes, mais la totalité des recettes doit faire face à la totalité des dépenses, sous peine de voir le budget se fractionner dans un désordre absolu. Et que dire de l’idée de faire payer un impôt spécial par une seule classe de citoyens ? Dangereuse et fausse toujours, elle l’est encore davantage, s’il est possible, lorsqu’il s’agit d’assurer la défense nationale. A entendre les socialistes, les riches ont un intérêt plus grand que les autres à cette défense et les prolétaires n’en ont aucun. Ce sont là de détestables sophismes contre lesquels on ne saurait trop s’élever. M. Ribot l’a fait. Partisan qu’il est de l’impôt progressif, — et c’est jusqu’où nous ne pouvons le suivre, — s’il admet que les riches doivent payer plus que proportionnellement à leurs ressources, il affirme que tous doivent leur tribut. Quand la patrie est en cause, l’intérêt du plus pauvre est égal à celui du plus riche. Mais qu’il s’agisse de la patrie, ou de l’ordre social, ou des services publics quels qu’ils soient, aucune distinction n’est à faire entre les citoyens en tant que contribuables : ils doivent tous contribuer suivant leurs facultés, et rien ne serait plus dangereux, plus impolitique, tranchons le mot : plus démagogique que d’établir entre eux des catégories artificielles d’après l’intérêt plus ou moins grand qu’ils prendraient à ceci ou à cela. La solidarité sociale disparaîtrait dans cet émiettement général. Puisqu’aucune protestation ne s’était produite